Rédha Malek sera inhumé aujourd'hui au carré des Martyrs du cimetière d'El Alia après la prière du Dohr Farouchement engagé pour l'indépendance du pays puis pour la République, il vient de partir avec dignité et humilité. Les temps étaient graves durant l'été 1993. L'Algérie menaçait d'exploser et de sombrer dans le chaos. Les attentats contre des personnalités politiques et intellectuelles se multipliaient et les dernières victimes en date s'appelaient Djillali Liabès, professeur en sciences humaines et ancien ministre de l'Enseignement supérieur, Kasdi Mebah ex-Premier ministre et ex-directeur de la Sécurité militaire et Djamel Zenati, journaliste à la Télévision nationale.C'est dans cette atmosphère brûlante et mortelle que Rédha Malek est nommé chef du gouvernement pour faire face à une situation extrêmement dangereuse sur le plan sécuritaire et désastreuse sur le plan économique. A l'époque, le pays livrait, dans l'indifférence mondiale et parfois contre de sévères critiques, une bataille de vie ou de mort contre le terrorisme. Et pour éviter son effondrement, il fallait «renforcer la République» répétait sans cesse Rédha Malek auquel l'histoire a donné raison une vingtaine d'années plus tard, au regard de ce qui se passe en Libye, en Syrie, en Irak et au Yémen. Il fallait aussi que «la peur change de camp» proclamait-il résolument. Cette phrase restée jusqu'à présent dans les mémoires avait précédé une offensive totale contre les groupes terroristes et conduit à leur défaite. C'était la dernière mission menée par Rédha Malek au service de son pays. Courageusement et avec l'expérience qu'on lui connaît, il n'a pas hésité un instant pour prendre ses responsabilités et défendre l'Algérie, en conformité avec sa vision empreinte de valeurs universelles, modernes et surtout républicaines. L'homme ne venait pas de nulle part et son action s'inscrivait en droite ligne d'un parcours intellectuel et militant qu'il avait entamé jeune, à l'aurore de la guerre de libération. Né le 21 décembre 1931 à Batna, Rédha Malek s'est attelé d'abord à se former et étancher sa soif de savoir jusqu'à obtenir, en fin de cours, une licence en lettres et en philosophie. Un cursus qu'il avait mené conjointement à la lutte pour l'émancipation de son pays en répondant présent sans équivoque à chaque fois que ce devoir l'appelait. En 1955, il était parmi les fondateurs de l'Union générale des étudiants musulmans d'Algérie et, de 1957 à 1962, directeur d'El Moudjahid, l'organe central du Front de libération nationale, alors clandestin. De mai 1961 à mars 1962, il avait pris part aux négociations d'Evian en qualité de porte-parole de la délégation algérienne et, un peu plus tard, à la rédaction du programme de Tripoli, un texte fondateur de l'Algérie indépendante. Rédha Malek s'était consacré par la suite à une carrière diplomatique en représentant l'Algérie à Paris et Moscou avant d'occuper fugacement, de 1977 à 1979, le portefeuille de ministre de la Culture. Il est ensuite reparti à l'étranger en tant qu'ambassadeur à Washington puis à Londres et c'était durant ce mandat qu'il avait contribué, en tant que principal négociateur, à résoudre l'une des plus grandes crises géopolitiques de la Guerre froide: l'affaire des otages américains à Téhéran. Une décennie plus tard, alors que le pays traversait une conjoncture politique majeure, il est nommé, le 26 avril 1992, président du Conseil national de transition. Trois mois plus tard, le voilà membre du Haut Comité d'Etat, pour devenir, le 3 février 1993, ministre des Affaires étrangères puis, et c'était sa dernière charge officielle, chef du gouvernement du 21 août 1993 au 11 avril 1994. Libéré de cette fonction, il n'avait pas pour autant rejoint sa maison pour couler une retraite paisible et regarder le monde avec détachement. Loin de là. A côté d'une activité intellectuelle frénétique, il avait fondé en 1995 l'Alliance nationale républicaine (ANR) pour continuer son combat et défendre ses convictions politiques. En parallèle à son action, Rédha Malek n'a jamais abandonné la plume en éditant de nombreux ouvrages: Tradition et révolution, Le véritable enjeu, L'enjeu de la modernité en Algérie et dans l'islam, L'Algérie à Evian et Histoire des négociations secrètes 1956-1962. Que dire de plus de cet homme qui figure parmi les personnalités les plus marquantes de l'histoire de l'Algérie moderne. On se demande même comment il a fait pour remplir aussi richement une vie qui a certes duré 85 ans, mais dont la densité étonne. Que l'on soit d'accord ou non avec lui, son incroyable destin force le respect et tout le monde lui reconnaît un amour enfiévré, pour le meilleur et le pire, fondé sur un engagement sincère envers sa plus sa grande passion: l'Algérie qu'il voulait fière, développée, moderne et républicaine. Rédha Malek sera inhumé aujourd'hui au carré des Martyrs du cimetière d'El Alia après la prière du Dohr.