Le réalisateur, hier, (au milieu) au Café-Ciné «J'essaye de faire partager un ressenti et faire un film qui dépasse l'événement ou l'attente d'une quelconque polémique politique», a tenu à dire le jeune réalisateur. Le film s'ouvre par des images VHS en particulier des images brouillées, enregistrées en 1998. Djamel Kerkar a choisi de poser sa caméra à Ouled Allal, région qui a connu les affres du terrorisme et qui fut le théâtre à l'automne 1997 d'une opération militaire. Dans ce documentaire projeté dimanche soir dans le cadre des RCB, le réalisateur d'emblée a pris le pari de retracer les mémoires d'un lieu qui a subi la violence et garde en lui encore les stigmates et les séquelles de cette période qu'on veut taire, mais ô combien jamais révolue. A cette projection, un homme fut invité à y assister, un homme qui hier matin lors du ciné-débat avouera avoir été rattrapé par l'histoire car ayant vécu là-bas à cette période. Il racontera, ému, s'être battu toute la nuit pour pouvoir s'enfuir le lendemain, avec sa femme, ses enfants et son frère. Aussi, pour son premier film, Djamel Kerkar fut très patient pour pouvoir accueillir les témoignages de ses habitants entre ancienne et nouvelle génération et, par-delà la dévastation, il a su capter le silence ambiant et le désastre qu'a pu provoquer en chacun d'entre eux et partant, d'entre nous aussi, les miasmes d'un passé en décomposition dont le bruit continue à nous hanter et nous poursuivre, voire à briser des vies humaines. Aussi sensible qu'il est, ce long métrage documentaire a su ainsi déployer tout un dispositif esthétique entre son et image panoramiques et des plans de nature brute pour nous faire immerger dans la nudité crue et cruelle de ces états d'âme écorchés par la vie, tel un arbre ou des détritus rouillés par le temps et le soleil, à côté desquels passent des silhouettes fantômes, celle du passé, mais aussi de ces jeunes hommes d'aujourd'hui qui tentent tant bien que mal de s'en sortir et de survivre au milieu du chaos. Lors du débat animé hier, au théâtre régional de Béjaïa, Djamel Kerrar fera remarquer: «L'idée de départ était de se confronter à ce lieu, à ce qu'il porte, le photographier aussi et par ces déambulations quelque chose est née. Quelque chose est née de ces rencontres-là, ce sont les témoignages. Au fur et à mesure, je prenais vraiment conscience de leur importance et celle de la libération de la parole qui est venue au fur et à mesure à moi.» A propos de la forme narrative du film, le réalisateur dira: «J'avais un système de pensée qui me servait de carte de navigation, mais formellement le film s'est constitué au fur et à mesure et en fonction de ce qu'il y avait. C'était plus se mettre au niveau des choses et faire jaillir quelque chose de ce silence-là. Un tournage minimaliste s'étant déroulé en deux parties», entre tournage et constitution d'images comme dossier. A propos de la question d'archives, Djamel Kerkar avouera: «Il y avait une espèce de transmission qui m'avait paru touchante de voir comment ce monsieur a su filmer cela il y a presque 20 ans. Et ce qui m'a aussi touché est de voir l'état de cette bande qui est elle-même en ruine et cela fait aussi écho au titre de mon film. C'était une évidence d'ouvrir le film avec ces images comme un prélude pour raconter cette histoire et parler de ce lieu. C'est aussi en relation avec le choix formel du film. Une espèce d'ouverture par le plan panoramique qui nous faisait passer des archives vers le film.» A propos de la musique présente dans le film (référence à cheb Hasni, mais aussi au titre qui fait également référence à une des célèbres chansons de Oum Kaltoum «Atlal» sur l'être délabré par le chagrin d'amour, Djamel Kerkar soulignera à juste titre que bien évidemment dès qu'on prononce le nom Atlal on pense à Oum Kaltoum et son célèbre concert où elle se casse la voix. «C'était quelque chose qui était sous-jacent en moi. C'est clair et défini. Par la musique, un des personnages incarnait 'la douleur''.» S'agissant du non-octroi d'un visa d'exploitation à ce film par le ministère de la Culture, Djamel Kerkar a tenu à rappeler à un intervenant dans l'assistance, que la production ne l'a pas proposé pour qu'il soit en exploitation dans les salles. «On n'a pas demandé, pour qu'on nous le refuse. Mais vous savez très bien que nos films sont très peu diffusés dans les salles algériennes, le dernier je crois en date est El Wahrani de Lyès Salem qui date de 4 ans environ.» Et d'ajouter: «Cette question de l'exploitation touche à un domaine plus large qu'est l'industrie cinématographique. Ce n'est pas à moi de le régler. C'est un problème collectif et ce n'est pas avec un, deux ou trois films qu'on va régler ça. Pour qu'il y ait exploitation il faut qu'il y ait des salles et pour ce faire, il faut qu'il y ait des distributeurs aussi.» Abordant la question de la réception de son film il précisera: «ce qui m'intéressait n'était pas de faire un film sur la décennie noire. Ce n'était pas du tout mes intentions. Je fais un film sur la mémoire, sur la résilience, ce lieu, ce qu'il comporte. A partir de ce petit territoire qui est minuscule par rapport à l'Algérie qui est un continent. On ne peut pas dire que je fais un film sur le terrorisme. Je voulais absolument ne pas faire ça. Ma fonction de réalisateur n'est pas celle d'un historien, sociologue ou anthropologue. Moi je fais des images et des sons. Je sens des choses et je donne à ressentir. Ce qui m'importe même dans le cinéma est de libérer d'une forme d'idéologie et une espèce d'engagement qui va aveugler les choses... Dans le film il y a des êtres vivants, des hommes, mais aussi des arbres, des personnes et tous ces signes et gestes peuvent en étant associés, dissociés, assemblés, dire quelque chose et c'est ce que j'ai essayé de faire. Un film se donne comme un matériau sensoriel. Et émotionnel. Ce n'est pas un travail de mémoire. Je ne prends pas la région de Ouled Allal comme un lieu de mémoire, mais je fais un film sur les mémoires d'un lieu. Les mémoires de ce lieu sont extrêmement compliqués. il faudrait des historiens pour travailler dessus. Je n'ai ni cette ambition ni ce désir-là ni cette pratique. Moi je me définis comme un artisan. J'essaye de faire certaines choses avec ma sensibilité, avec la manière qui me touche et me paraît juste. Je ne fais pas un ciné-tract. Et je n'insulte personne. J'essaye de faire ressentir des choses. Des choses même qui n'arrivent pas qu'en Algérie. Les guerres civiles il y en a partout dans le monde, tout le temps. Faire partager des ressentis, peu importe qu'on soit algérien et où l'on est né. D'ailleurs, sinon pourquoi je regarderai un film iranien, latino et cela me toucherait? Parce que ça touche à un matériau qui est commun à tous les humains. J'essaye de faire un film qui dépasse l'évènement ou l'attente polémique et politique» a tenu à dire l'auteur de Atlal hier matin.