Le film documentaire Atlal (Ruines) de Djamel Kerkar n'a toujours pas eu voix au chapitre dans les salles algériennes malgré le prestigieux prix du meilleur documentaire obtenu au FID de Marseille. Le dernier Festival d'Alger du film engagé l'a même recalé lors de la phase de sélection. Seules quelques personnes ont pu visionner le film lors d'une projection privée à Alger. Et au fil des minutes qui s'égrainent plutôt péniblement, l'on comprend aisément le pourquoi de ce probable ostracisme. Dérangeant ? Oui, Atlal l'est à plus d'un titre : d'abord parce qu'il est silencieux, crépusculaire et mélancolique. Un peu trop même. Ensuite, parce que la parole y est totalement libre, acerbe, tragique et politiquement sulfureuse. Nous sommes à Ouled-Allal, un petit village de la Mitidja ravagé par le terrorisme et aujourd'hui en phase de reconstruction après le retour de ses habitants. Hantée par les fantômes de ceux qui y ont perdu la vie dans d'atroces circonstances, la bourgade abrite également des spectres bien vivants : ces dizaines de jeunes nés au beau milieu de la tourmente et trainant traumatismes passés, désespoirs présents et néant futur. Entre les aînés qui s'échinent, avec la pudeur et le courage de leurs ancêtres, à panser les blessures et rebâtir un semblant d'avenir et ces enfants devenus vieux sans jamais avoir vraiment vécu, Djamel Kerkar choisit d'absorber jusqu'à la lie l'amertume et la beauté de ces lieux et de ces personnes qui ont paradoxalement trop de choses à dire et si peu de mots pour l'exprimer. Face à la double iconographie de la désolation des ruines et de la résistance des vivants, le cinéaste veut absolument faire vivre des émotions et des abstractions trop longtemps ensevelies sous l'indifférence du monde et la dignité des victimes. On a ainsi une impression récurrente d'une envie de tout filmer, de ne pas avoir à choisir les paroles et les images selon leur adhésion à un rythme cinématographique quelconque ou à une démarche esthétique. La prise de risque se situe là et elle n'est pas toujours convaincante dans la mesure où le refus d'obtempérer à des notions de base du cinéma documentaire reflète parfois simplement une solution de facilité : filmer sans discontinuer en encombrant le propos et en dé-sublimant le personnage. La redondance paraît alors non plus l'expression d'un besoin obsessionnel d'exorciser une douleur enfouie mais une tentation plutôt banale de verser dans l'exhaustivité. Atlal reste néanmoins un film puissant et Djamel Kerkar réussit, la plupart du temps, à garder intacte cette émotion trouble et cette tendresse infinie qu'il voue aux personnages de Ouled-Allal et qu'il parvient aisément à nous transmettre.