On commence par fumer, comme ça, par plaisir, un joint et on se retrouve accro pour de bon. C'est en tout ce que disent aussi bien les spécialistes que les toxicomanes que nous avons pu rencontrer. L'effet d'accoutumance vient vite, et puis surtout, on a besoin, pour produire le même effet (pour planer, pour reprendre le jargon) de prendre des doses de plus en plus importantes. La spirale infernale est atteinte lorsqu'on se met à mélanger. On ne se contente plus d'un joint fumé entre amis. On y ajoute l'alcool. Le mélange alcool-drogue est des plus néfastes. On ne se contrôle plus. On est amené au fur et à mesure à ne plus savoir ce qu'on fait. La drogue coûte cher. L'alcool aussi. Quand on ne travaille pas, on a recours à toutes sortes de procédés, pas toujours catholiques, pour se procurer une petite dose. A part le cannabis, on teste d'autres drogues: les colles, les psychotropes, on sniffe, on se shoote, c'est vraiment la descente aux enfers. Même pour ceux qui travaillent, la chose n'est pas aisée. Tout le salaire passe dans l'achat de doses de plus en plus importantes. Les témoignages des toxicomanes eux-mêmes sont révélateurs de cette dépendance, pour ne pas dire un escalvagisme. Les toxicomanes se rendent compte eux-mêmes qu'ils sont des victimes. Lorsqu'ils décrivent l'état de loque à laquelle ils sont réduits, avant d'atterrir dans un centre de désintoxication, on se rend compte qu'ils reviennent de loin. «Alcool, tabac, kif, comprimés, barbituriques, je ne savais plus où j'en étais, raconte Mourad. Je vomissais, je ne voulais plus voir personne. Mes relations s'étaient détériorées avec tous les membres de ma famille. On ne me comprenait pas. Je me souviens d'un jour où je marchais dans la rue en titubant. J'avais des frissons. Je crois que j'avais terriblement froid. Ensuite, je ne sais pas ce qui s'est passé. Lorsque je me suis réveillé, j'étais à l'hôpital, entouré de mon père et de mon grand frère. Je crois que je l'ai échappé belle.» Mourad pense qu'il va pouvoir s'en sortir. Mais il y a pire, pour beaucoup de jeunes comme lui: c'est la récidive. Un soutien familial est nécessaire. La drogue en effet est comme une forêt dense. On s'y enfonce inexorablement, de plus en plus profondément. On perd son chemin et tout sens de l'orientation. S'il n'y a personne pour vous tendre la main et vous repêcher, vous risquez de vous perdre à jamais. Des centres d'écoute existent maintenant en Algérie, notamment à El Harrach ou à Joinville (Frantz Fanon, Blida). Sont-ils suffisants? L'Algérie, qui n'était qu'un lieu de transit, est devenue au fil des années un lieu de consommation. Les problèmes sociaux induits par l'urbanisation galopante et la promiscuité des logements familiaux placent les jeunes dans des situations de stress et de détresse qui appellent un soutien psychologique permanent.