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Le mélange infernal
Chira, el-hamra et alcool
Publié dans Liberté le 18 - 08 - 2009

Trente à trente-cinq cachets depsychotropes sous forme de tranquillisants, appelés “el-hamra” pour sa couleur rouge, ou d'une autre couleur bleue appelée “ez zerga”, qu'il faisait passer en buvant sec un demi-litre de pastis… Voilà un cas parmi d'autres. Récits de descentes aux enfers.
La consommation de drogue en Algérie et le trafic des stupéfiants sont devenus hélas une réalité. Les statistiques prolifiques à ce sujet ne ciblent pas, bien trop souvent, les vrais questionnements, malheureusement, et ne servent plus à rien d'autre, à la limite, qu'à alimenter la polémique quand le problème est ailleurs : l'âge moyen d'entrée en consommation de drogue a baissé et se situe un peu au-dessus de 15 ans (17-18 ans), avec des âges variant de 9 à 11 ans, et pour la consommation régulière, l'âge se situant entre 20 et 30 ans. C'est un état de fait désormais avéré à l'orée de ce troisième millénaire. Il y aurait lieu de s'inquiéter. La population algérienne est composée en majorité de jeunes de cette tranche d'âge précisément, et l'on peut affirmer sans se tromper que la jeunesse se trouve au moins confrontée à ce phénomène, et partant, en situation de danger. Or la prévention est quasi nulle, lorsque toute la problématique se concentre là justement, à savoir dans la double prévention de la demande et de l'offre : prévenir les causes ou les facteurs de risque et éviter aux jeunes d'être à la merci des tentations, distancer l'aggravation de la toxicomanie sous toutes ses formes, viser à accompagner les jeunes en difficulté, rendre indisponibles par tous les moyens les stupéfiants, et d'autres initiatives qu'une véritable prise en charge du phénomène rendrait légitimes.
Béchar, Aïn Témouchent, Batna, Tindouf, Tlemcen, Alger et d'autres grandes villes du pays sont à présent des plaques tournantes de la consommation et du trafic de drogue. Quatre tonnes et demie de résine de cannabis ont été saisies au cours de l'année dernière par les services de sécurité en Algérie, de même que de l'héroïne et de la cocaïne en quantité impressionnante. Et ce n'est ici que ce qui a pu être mis en lumière et à la disposition des médias, bien sûr, car la face cachée de l'iceberg serait sans doute révélatrice d'une effroyable catastrophe sur le plan humain et moral comme sur le plan économique. Ainsi, le cannabis est le produit le plus consommé en Algérie, dont les effets physiologiques sont connus, comme la distorsion de la perception du temps et de l'espace notamment, avec des hallucinations audiovisuelles, selon les spécialistes. Le cannabis, c'est le chanvre appelé aussi haschich, dont la résine et ses préparations donnent la chira. Tout le monde admet aujourd'hui qu'aussi bien dans les pays développés que dans les pays du tiers-monde, la consommation du cannabis s'est massivement développée parmi les catégories les plus jeunes des populations. La plupart des experts dans le traitement médical de la toxicomanie indiquent aussi que le corollaire de cette brutale évolution de consommation de cannabis dans le monde est dû à la vulnérabilité de la jeunesse certes, mais soulignent surtout que le facteur essentiel demeure le désespoir, clairement ou non formulé, de nature personnelle ou sociale. La loi en Algérie est claire à cet effet quant à elle. Rappelons-le : répression du trafic et de ses profits, pénalisation de l'usage, alternance de soins à la sanction (voir encadré). Certes, l'élargissement du champ d'intervention des officiers de police a considérablement fait avancer les choses, en visant à combattre le crime organisé dont fait partie le trafic de drogue soutenu à travers le monde, comme on le sait, par des réseaux spécialisés utilisant des moyens modernes et performants. L'année 2007 avait connu une saisie record de cannabis : huit tonnes ! Et ce serait par conséquent d'autres options qu'il faudrait penser aussi.
Des narcotrafiquants parfois armés jusqu'aux dents
Les connaisseurs soutiennent que c'est dans le haschisch marocain que l'on trouve le plus d'adjuvants nocifs, tels que médicaments psychotropes, cirage, cire, colle, huile de vidange, henné. Le haschich se présente sous forme de barrettes ou plaques compressées de couleur verte, brune ou jaune. Il est fumé mélangé à du tabac ; le joint peut être coupé avec d'autres substances telles que citées plus haut.
L'autre danger aujourd'hui est que les narcotrafiquants recourent à la violence et sont parfois armés jusqu'aux dents. Au moins à deux reprises, en ce début d'année, dans la région de Béchar, devenue décidément un lieu privilégié pour les trafiquants pour le passage de leurs saletés, les gendarmes des gardes-frontières (GGF) ont arrêté des véhicules transportant des dizaines de quintaux de kif traité, un fusil-mitrailleur avec 1 470 cartouches, 4 pistolets mitrailleurs avec 16 chargeurs et 901 cartouches, un téléphone hautement sophistiqué, la première fois ; les mêmes GGF ont ouvert le feu sur un convoi de narcotrafiquants qui ont refusé d'obtempérer aux sommations, immobilisant leurs véhicules à bord desquels ont été découverts un PM avec 2 chargeurs, 73 cartouches, un ruban de munitions pour FM et plus de 3 tonnes de kif traité.
“Je ne voyais ni le jour, ni la lumière ; pendant cinq ans, je suis resté plongé dans les ténèbres de la drogue, et quand je n'en consommais pas je me sentais en mesure de commettre l'irréparable à l'encontre de quiconque m'adressait un simple bonjour…” Ce sont là quelques-uns des propos extraits d'un entretien que nous avons eu avec A., l'un des jeunes rencontrés à la frontière du sevrage et sous surveillance médicale quelques jours avant leur dernière prise de drogue, et dont nous garderons naturellement l'anonymat. Âgé de trente ans, enfant de La Casbah d'Alger, au parler algérois typique, A. découvre à un moment son buste pour nous montrer sa peau martyrisée à coups de couteau, puis ses jambes.
“En manque, j'ai la tête qui éclate, je veux tout casser, alors je m'écharpe !” Au neuvième jour de sa cure de désintoxication, il tient le coup, en priant. Exclu de l'école à 15 ans, il a commencé à côtoyer l'univers de la toxicomanie à l'aide de solvants et de diluants. Avant d'être conduit devant le psychiatre, A. est allé au bout de son univers en avalant à chaque prise 30 à 35 cachets de psychotropes sous forme de tranquillisants appelés el-hamra pour sa couleur rouge ou de couleur bleue appelé ez zerga, qu'il faisait passer en buvant sec un demi-litre de pastis ou de whisky, d'un seul coup. Il se mettait alors dans son coin et ne parlait plus à personne.
Elle se droguait en avalant un médicament anticancéreux
Bouleversants témoignages. Son compagnon de soins, B., trente-cinq ans, marié, père d'un enfant, est plus carré dans son discours : “J'ai remarqué que la cocaïne me faisait plus d'effet. J'ai démarré avec 1 g toutes les trois ou quatre semaines, puis 4 g les week-ends, et ces deux dernières années je consommais environ 18 g par jour, voire 29 g que je prenais en une fois avec un ami.” Un gramme de cocaïne se vend environ 10 000 DA, rapporte-t-on. La jeune C., 31 ans, ne souhaite pas s'exprimer. Reçue par les médecins dans un état lamentable, elle se droguait en avalant des cachets d'un médicament anti-cancéreux depuis quatre ans. Elle est triste, anxieuse. Dans le couloir, près de la porte du médecin, un jeune homme de 23 ans, assisté de son père, attend avec une nervosité très apparente d'entrer en consultation. Il revient pour une nouvelle cure. Il se shootait à l'héroïne…
Des facteurs perturbants jalonnent ainsi, forcément, l'existence de tous ces jeunes au niveau desquels l'on trouve une écrasante majorité de consommateurs de colle et de solvants et diluants. L'usage banalisé de ces produits s'explique par la disponibilité, le moindre coût, l'effet sédatif, anesthésique et auto-thérapeutique de ces drogues. Les spécialistes sont unanimes : le fléchissement scolaire, et à la fin, l'échec, chez les adolescents toxicomanes est un motif de consultation fréquent. A. a fini par avoir de sérieux problèmes avec la police, puis une association d'aide aux toxicomanes lui est venue en aide, enfin. Mais, quels troubles et quelles causes présenteraient le cas du drogué en Algérie, si l'on devait résumer ? Prenons l'exemple d'un jeune âgé entre 20 et 30 ans. D'après notre enquête, il aura commencé par se droguer à la colle et au diluant, puis s'est tourné vers le cannabis — moins cher, dit-on—. À ce stade, si le calvaire continue, le jeune drogué cherchera une plus grande satisfaction et deviendra un poly toxicomane en ingurgitant en même temps des psychotropes ajoutés à de l'alcool. Il paraît clair que toute action salvatrice contre la consommation de drogue devrait par conséquent s'attaquer à ses premiers dégâts en amont, et à un encadrement par conséquent de jeunes soudain en manque de repères.


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