Il est devenu un drogué sans savoir comment Saïd aurait pu être un jeune noyé dans la masse compacte des adolescents sans problèmes qui vivent leur insouciance à cent à l'heure. Il aurait pu réussir dans ses études, réussir une carrière de handballeur que lui prédisait son entraîneur alors qu'il faisait ses premiers pas dans la discipline parmi les minimes du Mouloudia d'Oran. Il aurait pu devenir la fierté de sa mère qui est devenue femme de ménage à la mort de son père pour subvenir aux besoins de la maisonnée composée de Saïd, un frère et deux soeurs. Il raconte ses regrets avec une pointe de tristesse dans la voix. «J'aurais pu faire beaucoup de choses, malheureusement mon chemin a croisé un jour celui de Satan. Je ne croyais pas que Houari qui m'avait vu grandir dans le quartier populaire de Saint Pierre, sur les hauteurs du centre-ville pouvait un jour me vouloir du mal en me plongeant dans le monde de la drogue», dira-t-il. Il est devenu un drogué sans savoir comment. «J'ai goûté un jour puis sans savoir comment je suis devenu accro». Houari un dealer qui a fait de fréquents séjours en prison pour détention et commercialisation de drogue, a tout fait pour s'attacher les services de son petit voisin. Ce dernier qui commençait à s'initier aux volutes de la nicotine des cigarettes Safy qu'il se payait au détail de temps à autre vouait une admiration pour son voisin, son aîné de plusieurs années qui se pavanait dans les rues du quartier chichement fringué et au volant d'une Austin Cooper, un petit joujou de l'époque. Un jour il lui proposa de l'accompagner pour une virée du côté des Andalouses. C'était l'été et Saïd ne pouvait pas se permettre ce voyage vers la fraîcheur et le farniente. Ils débarquèrent du côté de la grande plage. Sur place, Houari retrouva des copains. La discussion s'anima et Saïd se retrouva très vite adopté par le groupe. L'alcool aidant, il partagea avec eux des joints. Puis il n'hésita pas à avaler le comprimé de Diazepam que lui avait tendu Houari. C'est le baptême du feu, l'entrée sans crier gare dans le monde irréel de la drogue. De retour à Saint Pierre, il fut l'espace d'un soir envié par ses jeunes copains qui voyait en lui le protégé de Houari le gentleman. Ce dernier le prit alors sous son aile pour lui confier quelques opérations de vente moyennant une petite quantité de chira pour sa consommation personnelle. Les affaires marchaient bien pour lui puisqu'il se permettait de vendre à des consommateurs, de gagner un peu d'argent et de fuir l'état de manque qui le prenait le soir quand Houari n'était pas là ou quand il avait épuisé son stock. Mais un jour, il se réveilla avec une mauvaise nouvelle : Houari est en prison, il a été dénoncé par de petits dealers, tout comme lui, qui avait terminé leur course dans les filets de la police. «Ce matin-là je sentais le ciel me tomber sur la tête. Je devais fuir mais aussi trouver ma ration de drogue quotidienne devenue avec le temps 2 à 3 comprimés de Diazepam et quelques joints», dira-t-il. Ce fut la descente aux enfers pour lui. Il commença par commettre quelques larcins dans le quartier puis il devint une terreur pour les seules qu'il n'hésitait pas à attaquer pour les délester de tout ce qu'elles avaient comme objets de valeur. Un jour ne trouvant rien à voler et craignant de se faire repérer par les policiers qui avaient envahi en grand nombre le centre-ville, il resta cloîtré à la maison. Mais l'envie de prendre sa dose quotidienne de Diazepam le tarauda au point où il décida de chercher dans l'armoire de sa mère ce qu'il pouvait vendre pour s'acheter un morceau de chira. Il trouva une chaîne en or que sa mère gardait pour la dot de sa fille aînée. Il s'en empara mais au moment où il allait quitter la chambre, il tomba nez à nez avec sa mère qui le vit enfouir subrepticement l'objet dans sa poche. Elle lui demanda de le lui rendre mais sans résultat. Elle tenta la manière forte mais en état de manque il l'envoya par terre avec un coup de poing qui fit gicler le sang de sa bouche. Il sortit en courant. Ses frères et soeurs écoeurés et outrés par son comportement devenu violent allèrent déposer plainte contre lui au commissariat du quartier, une plainte appuyée par une autre pour coups et blessures sur ascendant déposée par sa vieille mère. Arrêté quelques jours plus tard, il dut confronter sa mère, son regard noyé de larmes devant le juge d'instruction. Celle-ci eut beau lui pardonner et dire au magistrat qu'elle retirait sa plainte, il ne fut pas libéré. Le jour du procès, il dut encore affronter le regard de sa mère et de ses frères et fut condamné à 18 mois de prison ferme. A sa sortie de prison, il décida de ne pas revenir à la maison. Il est devenu un «junky» qu'on rencontre de temps à autre au centre-ville traînant du côté du terrain Cepso ou de la promenade de Letang à la recherche de drogués avec lesquels il pourrait partager un joint. «J'aurais pu avoir un autre destin, malheureusement la disparition de mon père a voulu que ma mère ne constate pas ma descente aux enfers. Je vis aujourd'hui d'expédients et même les conseils de l'association kamikaze de lutte contre la toxicomanie ne me sont plus d'un grand secours. Je sais que je suis peut-être séropositif. J'ai peur de faire une analyse. La nuit quand je me rappelle mon enfance auprès de ma famille, l'envie de me suicider me taraude. Je sais que je le ferais un jour car j'en ai marre de vivre avec cette bouche pâteuse et cet état de manque qui ne cesse de me pousser toujours vers des excès», dira-t-il avant de nous quitter pour se diriger vers un gardien de parking, son frère d'infortune comme il l'appelle.