Les questions les plus brûlantes ont été évoquées sans tabous Avec son université d'été, le Forum des chefs d'entreprise a inauguré une nouvelle forme de communication empreinte de fraîcheur. L'initiative n'est cependant pas dénuée de lacunes qui ont quelque peu affaibli sa portée et brouillé son message. Plus qu'une tripartite, c'était un show se voulant à l'américaine qui a rassemblé hier au Palais des expositions le gratin de la politique, du business et du syndicat en Algérie. Il y avait d'un côté, le gouvernement représenté par Ahmed Ouyahia lui-même et plusieurs membres de son cabinet; de l'autre, le patronat avec à sa tête Ali Haddad, le président du FCE et enfin la Centrale syndicale conduite par son secrétaire général Abdelmadjid Sidi Saïd. Décontractée et tranchant avec la solennité habituellement de mise lors des rendez-vous de cette importance, la rencontre s'est déroulée au pavillon U, sûrement un symbole subliminal pour appeler les participants à l'union. Sauf que le choix de ce bâtiment qui se rapproche plus du hangar que d'un centre de congrès efficace et moderne était largement discutable. Pour les puristes, cela donnait une ambiance de bricolage et de désordre qui jurait avec la taille des enjeux que doit relever le pays et le but recherché par la réunion. De plus, l'événement était placé sous le slogan de «l'entreprise, c'est maintenant». Une expression politiquement maladroite pour ne pas dire incorrecte puisqu'elle pourrait signifier que, auparavant, on se roulait les pouces aussi bien dans le secteur public que privé. Vaincre la crise et lancer pour de bon l'économie nationale aurait été un thème et un mot d'ordre plus en phase avec les défis auxquels fait actuellement face l'Algérie. Les stands placés dans le grand hall offraient d'autre part une image rachitique de la production made in Algeria. Cela allait du pot de yaourt fabriqué à l'aide de poudre de lait importée, à la halkouma en passant par des produits qui tenaient plus de la foire de l'artisanat que l'industrie de pointe. Quelques rares exposants ont, cela dit, proposé des solutions technologiques avec une mention particulière pour la benne à ordures ultrasophistiquée et 100% locale. Ceux qui s'attendaient à voir les fleurons du génie industrieux algérien pour se rassurer et rêver que le pays a de quoi rivaliser avec au moins des concurrents de sa taille seront certainement déçus. Ils auront l'impression de se balader entre les étals d'une gentille kermesse en décalage avec les ambitions du pays. En revanche, à l'intérieur de la salle des conférences, les débats étaient d'une facture appréciable. On sentait même le Premier ministre sur ses gardes comme s'il appréhendait des questions gênantes susceptibles de fuser d'une assemblée formée de l'élite des entrepreneurs. Les griefs exprimés concernaient le financement des projets, les blocages bureaucratiques, l'informel et l'inquiétude diffuse qui plane en ce moment sur l'économie en temps de vaches maigres. Ouyahia répondait comme à l'accoutumée par des périphrases, par des paraboles, par des métaphores et parfois avec une franchise désarmante. «Aidez-nous pour que nous puissions vous aider», a-t-il par exemple dit à l'un des intervenants comme s'il voulait suggérer que la situation actuelle relevait aussi de la responsabilité des patrons. A un autre qui s'inquiétait du poids grandissant de l'informel, il a rétorqué que tous les pays connaissaient ce phénomène, mais en Algérie cette activité «ne se résume pas au jeune qui va vendre un pantalon dans la rue parce qu'il n'a pas trouvé de travail». Selon lui, «le gros de l'informel se trouve dans l'importation». Et avant de répondre à un troisième orateur qui avait exprimé ses réserves sur le financement non conventionnel, Ouyahia s'était ramassé, élevé la voix, pour clamer, avec une apparente fierté, «nous avons évité une crise cardiaque au pays». En gros, la première journée de l'université d'été du FCE avait un objectif plus politique qu'autre chose. Il est clair que le gouvernement veut rassurer les chefs d'entreprise, locaux et étrangers, qu'il cherche à assainir le climat des affaires et établir avec ses partenaires sociaux des rapports de confiance. De ce point de vue, il n'y a aucun doute que l'inauguration de cette tradition du dialogue franc, ouvert entre les pouvoirs publics, le monde des dirigeants de sociétés et de la classe ouvrière était d'une indéniable fraîcheur. Sous les yeux de la presse, les questions de l'heure les plus brûlantes ont été évoquées sans tabous, sans complexes. Le message codé que le Premier ministre émettait semblait dire «les choses ont changé, il faut maintenant passer au travail sérieux». Ainsi, une sorte de pragmatisme est en train de s'installer tranquillement en Algérie autour duquel Ahmed Ouyahia cherche à réunir le consensus. Un seul regret, cependant. Le Premier ministre est resté quelque peu évasif sur une question concernant la mise en perspective de l'économie algérienne à l'horizon 2050. Est-ce à dire que le court terme est sa seule hantise en ce moment et que les choses reprendront le cours d'avant une fois que le prix du baril de pétrole reprendra des couleurs? En tout état de cause, la crise actuelle, même si elle est porteuse de menaces sérieuses, a réveillé la réflexion et l'instinct de survie qui ont longtemps été anesthésiés par les effluves de l'or noir.