L'artiste, après une convalescence de quelques mois, marque son retour en grande pompe. Comme El Bareh, El Hachemi Guerrouabi, s'impose en maître. Hier, sur l'esplanade du Théâtre de verdure à Alger, il a fait vent. Ses rafales qui balayaient la scène ont failli lui jouer de mauvais airs. Mais rien n'en fut. Dieu merci. L'éolienne du Cheikh a parfaitement fonctionné. L'artiste, après une convalescence qui aura duré quelques mois, marque ainsi un retour, comme il fallait s'y attendre, en grande pompe. Une lecture poétique de l'ex-présentatrice de la Télévision algérienne, Amina Belouizdad louant, non sans émoi, la vedette de la soirée, a ouvert le bal sur une touchia dans le mode ghrib habilement exécutée par une armada de musiciens qu'ont doublement renforcée un excellent flûtiste et un violoncelliste. Le moment tant attendu était alors venu. Les - plus de 5000 - spectateurs retiennent leur souffle pour quelques minutes. Et ne le voilà-t-il pas, chemise blanche légèrement ouverte, un costume gris tiré à quatre épingles, marchait à petits pas puis s'installa tel un souverain sur son trône. Quelques mots affables, histoire de remercier un public en transe dont la fidélité n'a jusqu'ici jamais fait défaut. Il se lance dans une série de quatre insirafat dont In kerrabou, Abou ouyoun el wikah pour montrer - à ses détracteurs? - de quel bois il se chauffe. La sanâa c'est bien son dada et il ne se fait pas prier pour en faire la démonstration. Le m'khiles achevé, il entonne avec sa puissante voix, Chafet aïni ya raoui, un madih (panégyrique religieux) du poète Abdelaziz El Maghraoui, qu'il raccorde et enjolive avec une qacida tout aussi célèbre, Manenkoua had bnar el bine sur le mode aârak. De l'autre côté de la scène - le public - c'est l'envoûtement. Les ovations et les youyous d'un public féminin plus important que jamais, fusent de partout et à l'artiste de s'en délecter. Les sourires «légendaires» aux lèvres, il les lance à la cantonade. L'ambiance s'installe, la soirée s'anime et le rêve perdure. Les allées étroites des gradins sont envahies par des jeunes filles et garçons. La danse populaire s'offre aux yeux et chacun y prend plaisir. Surtout lorsque le Cheikh, dans les airs mélancoliques du zidane, chante Haramtou bik nouassi. Un véritable hymne à l'amour écrit en arabe classique et joué, de surcroît, sur un rythme valsé. La suite, tout le monde la connaît, et à laquelle l'on s'attendait fébrilement. Il s'agit, bel et bien, d'El harraz, que Guerrouabi non moins qu'Amar Ezzahi, seuls, détiennent les secrets de l'interprétation. L'assistance accompagne le Cheikh qui raconte d'une voix tantôt grave tantôt élevée les déconvenues de l'Achik avec el harraz dans sa quête de Aouicha, sa bien-aimée. Une pause de dix minutes et revoilà l'artiste qui s'invite avec nostalgie dans un répertoire qui lui est si cher, celui des «sixties algériennes», les chansonnettes du défunt poète et compositeur Safar Mahboub Bati. Il entame Goulou lenness (Dites aux gens) pour émerveiller quelques minutes plus tard dans Sadouni mia fel mia. Les s'enflamment, les moins jeunes rembobinent leurs souvenirs pour se faire bercer dans les airs de Had el hob el gheddar et de Goumriet lebroudj que le Cheikh achève avec quelques moments de heddi. Un pur bonheur pour les amateurs de la danse. Et comme pour joindre l'utile à l'agréable, El Hachemi Guerrouabi ne se prive pas d'en rajouter une couche. Sa propre couche. C'est évidemment Youm el djemâa kherdjou riam. Il donne libre cours à une inspiration qui a paru en ce moment intarissable et gambade d'un mode à un autre - mouwwal, maya... - avec une aisance magistale, mais ne saura tarder sur scène. Il est 01h 10 du matin. Guerrouabi qui n'avait, semble-t-il, pas envie de lâcher son mandole, entame l'ultime marche pour clore une soirée atypique - organisée par l'établissement Arts et Culture de la wilaya d'Alger - qui au long de ces trois heures de prestation, a épaté les mélomanes.