Cette histoire singulière démontre bien à quel point le phénomène de la «harga» se banalise de jour en jour. On se souvient tous de la polémique qu'a récemment créée un jeune père, parti en «harga» accompagné de sa fille d'à peine huit mois, dans l'espoir de rejoindre les côtes espagnoles. Cette action a d'ailleurs soulevé un tollé d'indignations sur les réseaux sociaux. Finalement arrivé à «bon port», c'est depuis l'Espagne que cet aventurier a tenté d'éclairer sur les vraies raisons qui l'ont poussé à risquer de cette manière sa vie et celle de sa petite famille. Dans ses confidences au confrère arabophone Ennahar, Youcef s'est d'abord adressé aux personnes l'ayant violemment injurié via facebook affirmant qu'«il est facile de juger quelqu'un. Mais je tiens à dire que ces gens-là ne savent rien du calvaire que ma famille et moi avons vécu», se défend-il, se demandant bien où est-ce que les personnes qui critiquent si aisément étaient quand lui vivait dans une misère noire, sous l'indifférence de toute la société? Poursuivant son témoignage, il s'est dit offusqué par les insultes dont il a fait l'objet, particulièrement celle le traitant lui et sa femme de «parents indignes». Développant que cette initiative était une «nécessité» pour sauver sa famille dans l'espoir de lui assurer une vie décente et aspirer à des jours meilleurs. «Je ne veux pas être témoin de la perte et de la dérive de mon enfant», rappelant que les conditions de vie qu'ils menaient ne sont pas du tout appropriées pour un bébé de huit mois voire pour un être humain. Youcef s'est donc vu contraint de prendre le taureau par les cornes. Ainsi, s'aventurer sur les eaux de la mer Méditerranée était la seule option qui s'offrait à lui. Saisissant l'occasion, le jeune homme a également pointé du doigt l'insouciance des autorités publiques quant à leur situation, notamment les responsables locaux. Dans son récit sur sa petite enfance, il relate que cette période l'a particulièrement marqué. Suite au divorce de ses parents, la situation financière de sa famille s'est dégradée, ce qui a poussé cet Oranais, raconte-t-il, à quitter très tôt les bancs de l'école. Alors qu'il était très jeune, de grandes responsabilités reposaient sur ses épaules. Il dit encore que la crise du logement ne l'a jamais épargné, comme pour un nombre incalculable de familles algériennes. «J'ai vécu dans un gourbi étant enfant et dans un chalet une fois marié», s'est-il lamenté. C'est pourquoi il explique que son choix qui, dans le fond, n'en est pas vraiment un, de recourir à l'émigration clandestine «harga» a été fait pour éviter qu'un même scénario se reproduise pour sa fille et sa femme. Ces conditions de vie excusent-elles à elles seules de mettre en danger la vie d'un nourrisson. Ils sont des milliers d'Algériens à vivre de pareilles situation, et peut-être même plus graves sans pour autant recourir à un acte aussi irresponsable. Cette histoire singulière démontre bien à quel point le phénomène de la «harga» se banalise de jour en jour. Aujourd'hui, Youcef se dit enfin soulagé d'avoir pu réaliser son rêve de voir son unique petite fille Israa heureuse. Pour rappel, c'est le 2 novembre dernier que ce père a décidé de braver les dangers de la grande bleue, avec son épouse et sa fille, à bord d'une embarcation de fortune, en compagnie de 15 autres personnes. Ensemble ils ont amorcé ce voyage risqué en partance de la wilaya d'Oran (Aïn el Turck). Signalons au passage qu'Israa est le premier chérubin ayant assisté à une telle «aventure». Et on peut dire qu'après tout ça, c'est une chance inouïe qu'elle soit arrivée saine et sauve en Europe. Alors que cette sorte de voyage était exclusivement pratiquée par des jeunes, il est aujourd'hui de plus en plus fréquent de voir des femmes tous âges confondus et même des familles entières participer à ce périple, pour tenter de rejoindre de meilleurs cieux. L'émigration clandestine a littéralement explosé dernièrement. Cela a été confirmé par l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l'Union européenne (Frontex) qui a révélé que le nombre de harraga algériens en partance pour l'Europe a doublé. Cette étude indique que le nombre d'arrivants en Espagne pour les seuls cas de l'Algérie et du Maroc est de 1800 harraga, ce qui fait une hausse de 25% comparativement à l'année écoulée. Cette augmentation et pas des moindres, signifie que de plus en plus de jeunes, face à leur situation souvent désespérée entreprennent de quitter leurs pays par cette voie qui peut s'apparenter à un suicide. D'où l'urgence de prendre en main ce problème et d'en faire «une priorité».