C'est la haine de l'Amérique qui nourrit Ben Laden. 11 septembre 2001 - 7 juillet 2005. On n'a pas fini d'égrener la liste des «villes martyres» d'Al Qaîda. New York, Madrid et Londres. En quatre ans, l'organisation de Ben Laden a signé une série d'attentats spectaculaires qui sèment la psychose en Occident. Un nom ressurgit toujours, celui d'Al Qaîda. Chaque attentat porte son nom de fabrique. Son ADN. Son dernier «raid» sur Londres est l'illustration de sa réelle capacité de nuisance. Il innove dans ses méthodes, mais aussi dans le choix de ses cibles. Le «timing» arrêté, quant aux lieu, heure et date des attentats que perpètre Al Qaîda à travers le monde, renseigne bien, hélas, sur l'efficacité de fonctionnement de ses réseaux qui essaiment les quatre coins de la planète. L'attentat de Madrid, en mars 2004, a été planifié et exécuté la veille de la tenue en Espagne d'une échéance politique capitale: les élections législatives. Le Premier ministre en fonction, Aznar, était parti confiant pour le renouvellement de son mandat à la tête de l'Exécutif de droite. Il était le favori de tous les instituts de sondage. Son rôle, aux côtés des Américains en Irak, a soulevé l'ire de la rue espagnole. N'empêche... Il comptait gagner ces élections parce qu'il avait tout réussi : des résultats élogieux en matière de gestion économique et sociale dans le royaume. Le destin, grand metteur en scène, allait cependant réserver un sort funeste à son ascension politique. D'un revers de la main, en quelques heures, son embarcation a sombré, sans crier gare, comme le Titanic, ne laissant derrière elle que des épaves flottantes. Les électeurs espagnols ont changé de camp aussitôt après qu'ils eurent appris le drame. Ils rendirent Aznar responsable de leur malheur. Ainsi, il a bien fini de payer le choix désastreux de son engagement militaire en Irak. Zapatero n'a été, en fin de compte, élu que grâce à la baraka de Ben Laden. Il s'emploiera d'ailleurs, dans les semaines qui suivirent, à décréter le rapatriement manu militari des troupes espagnoles en Irak, au grand dam des Américains. Les attentats de Londres obéissent au même schéma, et poursuivent la même stratégie. Et ils ont été montés pour atteindre les objectifs similaires à ceux réalisés après les attentats de Madrid en mars 2004. Depuis deux ans au moins, la rue anglaise manifestait crescendo sa colère contre la politique britannique en Irak. Les tabloïdes londoniens ont mené aussi leur croisade médiatique sur le va-t-en guerre Tony Blair, au point que l'on estimait qu'il n'avait pas volé son quolibet de «caniche de Bush». L'alliance anglo-saxonne est sacro-sainte. Les historiens n'ont-ils pas toujours estimé, depuis l'apogée de l'empire britannique, que celui-ci était le bras séculier de l'Amérique? Jeudi, c'est le meilleur allié des Etats-Unis dans le monde qui a été terrassé par Al Qaîda. Mais cela a une explication. Les cerveaux de cette opération ont eu, à la fois, le coup de génie et l'outrecuidance d'avoir réussi à ridiculiser Tony Blair au moment même où il se préparait à assumer son ascension politique internationale pour le rendre aussi vulnérable que n'importe quel petit chef d'Etat de la planète. La veille, Londres est désigné pour abriter les jeux Olympiques de 2012. Eclatante victoire pour un Premier ministre qui, le lendemain même de ce succès, va présider le sommet du G8 auquel ont été conviés tous les puissants de la planète, Bush en tête. Voilà un événement majeur qui va compter dans la vie politique de Blair, intronisé cinq jours auparavant président de l'Union européenne pour six mois, faisant deux fois de suite du rentre dedans à la France de Chirac. C'est dire que l'ego britannique a pris un sérieux coup depuis ce jeudi matin. SHOCKING! Pour un homme sensé, tout acte terroriste est condamnable. Mais les Anglais oublient volontiers que leurs «renards du désert» ont laissé de tristes souvenirs à Bassorah. Les bavures de cette armée ont fait les colonnes de la presse britannique. violées, prisonniers maltraités, victimes et dégâts collatéraux, etc. Les 12.000 soldats anglais font toujours le sale boulot en Irak où Zerqaoui, le lieutenant de Ben Laden, les combat sans répit. Il faut se raviser de penser que ce sont seulement la pauvreté et la misère, comme l'affirment certains dirigeants du G8, réunis en Ecosse, qui font le lit du terrorisme. Feignent-ils d'oublier cet aspect fondamental de l'existence même d'Al Qaîda? Celle-ci a été créée pour lutter contre l'injustice, contre la domination des pays arabes et musulmans par les grandes puissances. Les moudjahidine sont d'abord nés en Afghanistan pour combattre l'occupation soviétique. La Palestine et l'Irak constituent des motifs suffisants et nécessaires, aujourd'hui, pour déclarer la guerre à l'Occident, sans pour autant nier l'apport de l'Islam, selon leur version, à ce combat. En frappant l'Angleterre, Al Qaîda a aussi ébranlé l'Amérique. Dans le dernier Jeune Afrique/Intelligent, j'ai relevé une information indiquant que le monde n'aime pas l'Amérique. Ce n'est pas l'expression d'un état d'âme. C'est le résultat d'un sondage réalisé dans seize pays par l'institut Pew Research Center qui l'atteste. En Allemagne, Canada, Chine, Espagne, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Inde, Indonésie, Jordanie, Liban, Pakistan, Pays-Bas, Pologne, Russie et Turquie, l'on est convaincu que c'est la première puissance du monde à ne pas tenir compte des intérêts des autres pays et à être largement responsable de l'aggravation de la menace terroriste. La guerre en Irak explique en grande partie les sentiments anti-américains. Cette enquête a été dirigée par l'ancienne secrétaire d'Etat américaine, Madeleine Albright, et l'ancien sénateur, John C.Danforth. La myopie politique des hommes d'Etat occidentaux n'a que trop duré. Ils doivent se rendre à l'évidence que c'est l'Irak qui est l'adjuvant premier du terrorisme. Mais auront-ils le courage de le dire à Bush?