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Bentalha: l'enfer au bout de la nuit
CLANDESTINE DE HAMID GRINE
Publié dans L'Expression le 18 - 11 - 2017

L'écrivain Hamid Grine fait croiser dans son nouveau roman «Clandestine» (éditions Casbah-Alger) deux destins qui ne partageaient rien, absolument rien.
C'est en partie l'une des originalités de ce nouveau roman qui retrace une page des plus traumatisantes de la décennie noire ou rouge, la décennie du terrorisme aveugle qui a frappé l'Algérie avant que le peuple ne réussisse à extirper cette terre aimée des griffes de ces «lâches illuminés». Avec un style fluide, dépourvu entièrement de lourdeurs ou de tournures de phrases inutiles, Hamid Grine égrène, tout au long de son passionnant roman, les différentes étapes ayant émaillé une période cruciale de l'histoire de l'Algérie indépendante. Il ne s'agit point d'un livre uniquement sur le terrorisme, bien que l'auteur y ait consacré une grande partie de l'ouvrage. Il est beaucoup plus question, dans «Clandestine», de psychologie, notamment d'une victime du massacre cruel de Bentalha ayant fait 400 morts en quatre heures. La victime, Hayet, avait douze ans quand la horde d'intégristes s'en est prise à tout un village tuant hommes, femmes, enfants et bébés, sans aucune once d'humanisme. En effet, Hayet avait douze ans quand elle a vu, en direct, ce qu'aucun esprit humain normalement constitué ne pourrait tolérer. Il s'agit de l'immonde tout simplement. Des scènes atroces de tueries qui marquent à jamais l'esprit, l'âme, le corps... Ainsi, Hamid Grine réussit à faire une jonction, très difficile à concrétiser, entre deux personnages aux destins diamétralement opposés. En fait, il y a d'un côté la jeune Hayet, victime directe du massacre de Bentalha et de l'autre, le docteur Selim, qui n'a jamais été sensible auparavant à tous les drames qui ont secoué l'Algérie. Certes, Selim a toujours vécu en autarcie, voire en autiste volontaire. Il n'a jamais accepté ni pu demeurer ne serait-ce que connecté à ce qui se passait dans son pays et chez ses concitoyens, via les médias par exemple. Selim n'a pas eu le courage de voir la réalité amère et terrorisante en face. Il avait peur et cette frayeur constante, il la traînait constamment avec lui. Durant toute la période du terrorisme, Selim s'est abstenu de lire les journaux et de regarder la télévision pour ne pas savoir. Ne pas voir. Et ne pas prendre conscience de tous les drames qui survenaient un peu partout en Algérie. Il préférait se cantonner dans un faux confort et une vie de luxe préfabriquée et factice qui ne lui seyait, en réalité, guère. Mais la vie, sa vie, sera des plus malheureuses, en dépit de toutes ses précautions de façade. La vie de Selim, malgré toutes les mesures «de sécurité» qu'il a prises, n'a été qu'une succession de déceptions. Selim est en réalité un homme malheureux, même si de l'extérieur, quand les autres le voient, on pourrait avoir, à tort, l'impression, qu'il s'agit de l'homme le plus heureux de la planète. Craignant l'envie, il va même jusqu'à cacher à ses deux amis intimes d'avoir acheté une villa luxueuse dans l'un des quartiers les plus huppés de la capitale Alger. Un achat qu'il contracta à coups de sacrifices énormes juste pour plaire à sa femme Laurence. Cette dernière, il l'avait connue dans un hôpital parisien où il exerçait comme médecin et elle, comme interne. Une histoire d'amour est vite née entre les deux personnes. Laurence, une mordue de littérature qui passait ses longues journées et interminables nuits à lire, a vite été happée par le côté poète de son futur mari. Ils s'aimèrent alors, se marièrent et eurent une fille avant que les débuts du terrorisme en Algérie en 1991 ne viennent tout gâcher.
Furie meurtrière
L'amour entre Laurence et Selim, aussi puissant qu'il puisse paraître, n'a pas pu résister aux explosions des bombes et aux crépitements des armes qui hanteront pendant des années la vie quotidienne des Algériens. Laurence n'a même pas tenté de résister pendant les premières années de cette furie meurtrière. Elle a pris l'avion dès que les premiers attentats avaient été enregistrés, non sans prendre avec elle sa fille Sarah, abandonnant ainsi le grand amour de sa vie, Selim, à sa solitude qui le consumera à petit feu. Naïf jusqu'à la moelle, Selim continuera pourtant, et malgré tout, à consentir des sacrifices énormes pour sa femme en travaillant dans son cabinet médical de derma tologue jusqu'à des heures tardives. Il ramasse le maximum d'argent pour lui envoyer une pension mensuelle consistante en France. Puis, il contracte un crédit bancaire astronomique pour acheter, aussi, à Laurence, la villa avec piscine dont elle rêvait tant. En acquérant cette villa, Selim, du haut de son esprit candide, avait cru qu'il avait désormais l'appât pour faire revenir sa femme au bercail. Mais c'était compter sans le temps qui est passé tellement vite et a sans doute emporté dans son sillage l'amour qu'éprouvait Laurence pour le pauvre Selim. Ce dernier attend en vain le retour de la seule femme qu'il a aimée. Plus de dix ans après qu'elle eut quitté l'Algérie, Laurence n'a plus remis les pieds ici. Pourtant, ils s'appellent au téléphone quotidiennement ou presque, si ce n'est pas le soir, le lendemain matin. Chacun raconte à l'autre comment il a passé sa journée. Comme quoi, en dépit de la distance infranchissable, leurs âmes restaient, en quelque sorte, connectées, contre vents et marées. C'est du moins ce que pense Selim. Quant à Laurence, le lecteur ne saura guère ce qu'elle fait là-bas. L'auteur a choisi de se focaliser sur les détails de la vie quotidienne de Selim et de ne rien dire sur son épouse, laissant ainsi le lecteur imaginer tout ce qu'il voudrait.
Pour oublier son chagrin d'amour et une mal-vie si bien dissimulée derrière un magma d'apparences opulentes et fastes, Selim retrouve le soir ses deux amis Nassim et Fouad. Il boit alors infiniment et discute de tout et de rien avec ses copains pour surmonter son mal caché dans ses tréfonds. Des discussions qui tournent autour de banalités en évitant de tomber dans les sujets sérieux qui ne manqueront pas de remuer le couteau dans la plaie. C'est au milieu de ce train de vie rongé par la routine et l'ennui qu'un jour, la vie de Selim bascula subitement. Alors qu'il est dans son cabinet à ausculter tranquillement les patients, Selim reçoit la visite d'une patiente d'un genre particulier. Il s'agit de Hayet. A sa première vue, Selim, compte tenu de l'apparence de sa visiteuse, a eu du mal à discerner s'il s'agissait d'une femme ou d'un homme. La femme donnait les allures d'un garçon manqué. Tout dans son apparence laissait croire qu'il s'agissait d'un homme. Pourtant, c'était une femme. Une femme qui voulait devenir un homme pour échapper au diktat des hommes. Quand la discussion commence entre Selim et Hayet, qui est âgée d'à peine de dix-neuf ans, Selim est subitement intéressé par le destin cruel de cette femme dont il ne connaît encore que quelques bribes. La femme l'étonne, voire le choque en lui disant que l'objet de sa visite est son désir de se débarrasser de ses seins. Pourquoi une femme voudrait-elle en finir avec une partie de son corps? Parce que ses seins deviennent encombrants. Elle a tout fait depuis des années, pour qu'on ne s'aperçoive pas qu'elle est de sexe féminin, pour ne pas être importunée par les hommes qui ne manqueront pas de la harceler.
Les secrets de Hayet
Jusque-là, elle s'est servie de bandes pour serrer à fond ses seins leur évitant ainsi une quelconque exhibition nuisible. Mais depuis quelque temps, les deux organes prenant de plus en plus une grande forme, les bandes ne servent plus à grand-chose et la seule issue qui lui reste est de s'en départir une fois pour toutes. Puis après, Hayet continuera à livrer quelques secrets à son interlocuteur. Ce dernier s'est montré doté d'un sens de l'écoute qui n'a pas laissé sa patiente insensible. Hayet révèle à Selim qu'elle est l'une des victimes directes du massacre de Bentalha. Elle avait douze ans quand son père et sa mère avaient été froidement assassinés dans leur maison alors qu'elle s'était cachée, sous conseil de sa mère, à l'intérieur d'une commode, échappant ainsi aux assassins des ténèbres. Depuis cette nuit au bout de l'enfer, la petite fille n'a pas cessé d'errer sans destination et sans destin un peu partout jusqu'à rencontrer à l'âge de 14 ans, un homme qui n'est pas resté insensible à sa condition et qui l'a embauchée comme... mécanicienne dans son garage, non sans lui avoir prodigué auparavant les rudiments de ce métier traditionnellement réservé exclusivement aux hommes, surtout en Algérie. Hayet s'est démarquée de sa personnalité de femme pour prendre, en tout, une attitude et une apparence de jeune adolescent-homme. Depuis, elle vit avec cette posture et dans ce costume, qui lui permet d'échapper à toutes les pressions et à tous les embêtements qu'une femme sans défense pourrait subir de la part des hommes. Cette rencontre fatidique marquera à jamais Selim.
Après des heures d'échange avec la jeune fille-homme, Selim oriente son interlocutrice vers une psychologue, ayant compris que c'est de ça qu'elle a vraiment besoin. Puis, en quittant son cabinet médical, Selim est subitement devenu sensible à la situation qu'a vécue son pays en ces années rouges du terrorisme. Sa rencontre avec Hayet en a été le déclic tant attendu. Il s'est étonné comment son pays et son peuple aient vécu toute cette tragédie alors que lui est resté de tout temps indifférent à ce qui se passait.
Il aura directement recours aux merveilles de l'Internet pour appeler Google à son secours afin de collecter le maximum d'informations sur le massacre de Bentalha, dont il n'avait même pas entendu parler.
Une fois imprégné de ce qui s'y était produit, Selim est traumatisé comme s'il y était en cette nuit funeste, le récit de Hayet lui ayant également servi à se mettre dans ce bain de sang. Depuis le jour où Hayet lui a rendu visite, la prise de conscience de Selim par rapport à ce qui s'est produit dans son pays n'a pas cessé d'augmenter. Au point où il décida même d'aider Hayet en l'extirpant au milieu qui la terrorisait tant jusqu'à la pousser à penser à une intervention chirurgicale pour se débarrasser de ses seins. Mais le problème, c'est qu'il n'a aucun moyen de retrouver Hayet. Plutôt il y en a un. Juste un. Appeler la psychologue à laquelle il l'avait orientée.
Cette dernière l'informe qu'elle n'a jamais été la consulter.
C'est alors que Selim prend la décision ferme de prendre la route vers Bentalha afin de retrouver Hayet. Une fois dans la localité ayant vécu le pire la nuit fatidique du 22 septembre 1997, Selim retourne sur les traces de cette tragédie. Le roman de Hamid Grine prend alors une autre tournure dont il ne serait pas judicieux de s'étaler ici afin de laisser au lecteur du roman la surprise de découvrir la suite émouvante et poignante.
Hamid Grine aujourd'hui à 14h30 à la librairie du Tiers-monde
L'écrivain Hamid Grine est de retour.
Libéré de ses obligations gouvernementales, il replonge dans le monde merveilleux de la littérature en offrant à ses lecteurs un nouveau livre intitulé Clandestine publié aux éditions Casbah.
Ce roman est le premier du genre à avoir pour trame le massacre de Bentalha perpétré par les hordes terroristes du GIA en 1997.
Une rencontre-dédicace de l'auteur avec le public est prévue à la librairie du Tiers-monde aujourd'hui à partir de 14h 30.


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