Selon Hamid Grine, la jeune littérature francophone algérienne veut tuer les aînés. Hamid Grine était l'invité, samedi soir, du nouveau Salon littéraire baptisé Ikhwan Al Safa organisé à Alger par le journaliste et écrivain Hmida Layachi. «Deux fois par mois, nous accueillerons des auteurs pour débattre dans un cadre intime de leurs œuvres. Les élites peuvent donc se retrouver dans un appartement et parler sans haine de la littérature et de la culture», a déclaré le directeur d'El Djazaïr News. L'écrivain et traducteur Mohamed Sari a été le premier invité du salon. Hamid Grine, lors d'un débat de plus de deux heures, a parlé ouvertement de son œuvre, de la littérature algérienne, de ce qui le tourmente, de ce qu'il veut faire… «Mes influences ne sont pas algériennes, même si j'ai lu tous les auteurs algériens. Je n'ai pas apprécié certains. Par exemple, je n'ai pas compris Nedjma de Kateb Yacine après l'avoir lu à plusieurs reprises. Cela m'avait valu des insultes. J'aime l'écriture de Mouloud Feraoun que je comprends. J'assume ce que j'ai dit. Je peux lire le plus grand roman du monde et il ne me plaît pas. Je respecte les gens qui critiquent mes livres à condition qu'ils les lisent. Je n'aime pas les louanges qui viennent de personnes qui ne lisent pas mes livres», a-t-il relevé. Il a estimé qu'en Algérie, il est tabou de critiquer certains auteurs francophones, dont Kateb Yacine. «Par contre, tu peux assassiner Tahar Ouettar, personne ne réagira. J'ai écrit une chronique sur Ouettar dans Liberté, on m'a attaqué. Je ne devais pas dire du bien de lui… J'ai une relation apaisée avec les écrivains arabophones algériens. Il faut le dire, un écrivain francophone moyen a pignon sur rue. Ce n'est pas le cas du meilleur écrivain arabophone», a-t-il relevé. Hamid Grine a parlé de son admiration pour l'écriture de Montherlant, Gide, Camus, Flaubert et Stendhal. «C'est-à-dire tout ce qui est épuré au maximum. Selon Flaubert, la plus belle phrase au monde doit ressembler au mur de l'Acropole,lisse ! Phrase courte et sans cholestérol. Avec moi, les lecteurs n'ont pas besoin de prendre de dictionnaire», a-t-il dit. Selon lui, il est plus difficile d'écrire des essais que des romans. «Sans aucun prévision, j'avais commencé à écrire La dernière prière (Alpha, 2006). Je ne suis pas un écrivain prolixe. Depuis trois ans, je n'ai rien écrit. Mon dernier livre Sur les allées de ma mémoire est paru en 2012 (Casbah). Il m'a fallu dix ans pour écrire le roman Un parfum d'absinthe (paru en France sous le titre Camus dans le Narguilé). Ce que j'avais à dire pendant dix ans, je l'ai dit. Maintenant, je ne sais pas…», a-t-il confié. Depuis décembre 2010, Hamid Grine écrit un roman qui pourrait porter le titre de La femme qui voulait être un homme ou Regards voilés. «C'est une longue souffrance. Je l'ai terminé, revu trois fois. Le livre ne me plaît pas. C'est peut-être lié au fait que c'est le roman le plus éloigné de moi. Il n'y a aucun élément autobiographique», a-t-il affirmé. Le roman est articulé autour de l'histoire d'une fille de Bentalha (banlieue d'Alger) travaillant chez un mécanicien qui veut se transformer en garçon pour se protéger des harcèlements. L'auteur de La nuit du henné a qualifié son écriture de gaie. «Et dans ce roman en projet, c'est triste. Je suis quelqu'un d'aérien, de léger. Je ne me suis jamais posé des questions existentielles. Or, depuis une année, j'ai des sources d'angoisse que je ne connaissais pas à cause de ce désarroi dans le roman en chantier. Il faudrait que je sois au niveau de l'exigence. Je ne suis pas satisfait. Pourquoi je me remets en cause ? Je ne sais pas. Je suis devenu d'une perméabilité extraordinaire, presque fragile. Quand je lis, je n'écris pas. C'est une fuite en avant», a-t-il dit. Il a révélé qu'il ne s'enferme pas pour écrire. «Je n'ai pas besoin de solitude pour écrire, mais j'ai besoin de sérénité. J'ai moins de sérénité qu'auparavant», a-t-il avoué. Hamid Grine n'aime pas le roman flaubertien (la durée d'écriture). «Le meilleur roman est celui qu'on écrit d'une traite», a-t-il expliqué. Revenant sur ses œuvres, il a précisé que Cueille le jour avant la nuit a été vendu à 10 000 exemplaires et que Camus dans le Narguilé a connu un certain succès (ce roman sera bientôt réédité en France). Camus dans le Narguilé pose une grave question, celle de l'engagement des écrivains algériens durant la guerre de Libération nationale comparé à l'auteur de La peste. Je n'ai pas vu de débat sur cette question. J'aurais aimé que ce livre soit lu…», a-t-il regretté. Citant Boualem Sansal, il a indiqué que «les histoires algériennes» n'intéressent plus les éditeurs français actuellement. Pour Hamid Grine, la littérature algérienne actuelle est la plus créative au Maghreb. «Nous avons en Algérie des auteurs qui ont un niveau mondial. Mais ils n'ont pas de relais, pas de lobbies qui pourraient faire leur promotion. La jeune littérature francophone algérienne est talentueuse, mais elle veut tuer les aînés. Ces auteurs sont-ils sincères ? Sont-ils Algériens dans leur écriture ?», s'est-il interrogé. Les écrivains doivent, selon lui, être les témoins de leur société et éviter «l'écriture-marketing». Rachid Boudjedra, selon lui, a complexé beaucoup d'Algériens. «Boudjedra est un provocateur qu'il ne faut pas prendre au sérieux. Mais qui est-il pour juger Yasmina Khadra ou Ahlem Mostaganemi ? Boudjdra n'est pas le Nobel de littérature. Il n'a pas le droit de juger», a-t-il dénoncé. Il a toutefois ajouté qu'il aime la littérature de Boudjedra, citant le roman L'escargot entêté. Enfin, Hamid Grine a regretté sa mise à l'écart des conférences et ateliers du prochain Salon international du livre d'Alger (SILA), prévu du 30 octobre au 9 novembre 2013 au Palais des expositions des Pins Maritimes, à l'est d'Alger.