Dès la prochaine saison touristique, une brigade des douanes spécialisée dans la protection du patrimoine sera opérationnelle. «A chaque chose malheur est bon», dit le proverbe. Et l'on ne peut, d'ores et déjà, quitte à enfreindre certaines règles de l'éthique, que rendre «hommage» aux pilleurs allemands pour le grand service qu'ils ont rendu au pays sans le savoir bien évidemment. Car en volant, en novembre dernier, quelque 123 pièces archéologiques appartenant à de très vieilles civilisations qui ont vécu dans l'extrême sud du pays, du Parc national du Tassili, dont la superficie dépasse les 80.000 km², et dont certaines pièces datent de plus de 10.000 ans, les pouvoirs publics semblent, enfin mesurer l'ampleur des dégâts et l'importance du patrimoine archéologique et naturel. Quelques mois après la tragédie- car c'en est une- l'acte fut joint à la parole et les douanes algériennes comme bien d'autres institutions publiques ont pris sur leur dos la «lourde» responsabilité de contribuer, avec leurs propres moyens à la protection et la préservation du plus grand musée à ciel ouvert dans le monde, classé en 1982 patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco et réserve de l'homme de la biosphère ( MAB) en 1986. 15 mai 2005: Sid-Ali Lebib, directeur général des douanes, s'est déplacé dans la capitale des Touareg d'Azdjer, Djanet, pour annoncer la création d'une brigade spécialisée dans la protection du patrimoine. L'ambitieux projet, initié avec le partenariat de l'Office national du parc national du Tassili (Opnt) n'est pas de tout repos car l'administration douanière, bien qu'elle soit chargée, dans le cadre de ses missions classiques inscrites, à savoir le code des douanes et la protection du patrimoine naturel et culturel, était jusque-là dans l'incapacité d'assurer une telle tâche tant ses éléments- ses brigades- manquaient de qualification. Tentatives vaines et sporadiques Il n'est pas sans savoir que la crainte suscitée auparavant suite à quelques cas de pillage qui s'exerçaient depuis de nombreuses années dans le Grand Sud, avaient dans les années 90, poussé les autorités publiques à agir mais, hélas, sans grande efficacité. Le pays était alors dans une situation telle que les questions, pourtant importantes, telle la préservation du patrimoine, étaient reléguées au second plan et ne constituaient plus dès lors des priorités. Le 30 août 1994, une convention dans ce sens a été signée entre les Douanes algériennes et le ministère de la Culture portant sur le renforcement de la coopération entre les deux institutions à travers des cours donnés aux éléments des douanes sur le patrimoine, des échanges d'informations sur le trafic et la circulation des biens culturels ou naturels...mais rien n'en fut. Le projet est tombé à l'eau. Le patrimoine pouvait bien attendre. Le travail se poursuivait certes mais sans grande coordination entre les différents partenaires alors que la question du «pillage systématique» des pièces archéologiques et naturelles a fait, des mois durant, la manchette des journaux. Et c'est dans ce souci justement que l'implication des douanes a débouché sur la création de la brigade spécialisée. Selon Salim Tiar, directeur régional des douanes d'Illizi, que nous avons rencontré il y a quelques jours dans son siège au chef-lieu de la wilaya, la brigade fera son baptême de feu avec l'entame de la saison touristique qui s'étalera d'octobre à avril 2006. En pleine mutation économique, le corps des douanes se doit, selon lui, d'assurer sa mission notamment dans le secteur touristique car «si le nombre de 6000 touristes qui sillonnent la région chaque année est maîtrisable, nous nous attendons dans l'avenir à un nombre de plus en plus important», prévoit M.Tiar qui ajoute: «L'urgence est de multiplier les éléments tout en leur inculquant la formation requise. D'ailleurs, c'est sur la base d'une formation, que ces derniers auront à poursuivre, que l'agent douanier acquerra une meilleure maîtrise et une connaissance qui permettront d'appréhender les pillards et d'éviter aux touristes certains problèmes liés à la saisie des pièces archéologiques». Ainsi, les Douanes algériennes semblent bien parties dans la lancinante politique qu'est l'encouragement au tourisme. C'est là aussi une opération qui s'inscrit, selon notre interlocuteur, dans la promotion de l'image de l'Algérie à l'étranger. «Le douanier est la première personne à accueillir le touriste à son arrivée et le dernier à l'approcher avant son départ», résume M.Tiar. Protéger, mettre en valeur et sensibiliser La création de cette brigade se veut comme un processus qui prendra effet dès le début du mois de septembre. Un programme de formation de deux mois a été ainsi élaboré et sa prise en charge sera assurée au niveau du Centre de formation professionnelle d'apprentissage (Cfpa) de Djanet par les cadres de l'Opnt. Quelque 25 douaniers sont concernés par cette formation. Des cours aussi bien théoriques que pratiques touchant entre autres, le patrimoine culturel et naturel, l'archéologie et les civilisations leur apprendront à définir la valeur des pièces convoitées, les lois et les réglementations... côté pratique, les stagiaires effectueront des sorties sur les sites du Tassili. La brigade, une fois entrée en service, aura donc à intervenir, à la fois au niveau des aéroports, des postes frontaliers ainsi que du «rayon de douanes» qui s'étend sur 400 km. Le but étant évidemment de contrôler la circulation et le trafic des pièces archéologiques. Pour relever un tel défi, les moyens mis à la disposition par la direction régionale d'Illizi ne sont pas sans importance du moment que les éléments actuels, ceux de la lutte contre la contrebande à titre d'exemple, sont dotés, selon M.Tiar, de moyens plus ou moins suffisants. Ainsi formée, la brigade de la protection du patrimoine aura à intervenir dans un lieu, le parc du Tassili, pour contribuer, en communion avec les autres organismes à la protection d'un patrimoine archéologique légué, dit-on, par des civilisations qui remontent à l'apparition de l'homme sur terre. C'est aussi une façon de mettre un frein, au pillage «massif» auquel s'adonnent de véreux scientifiques étrangers au mépris de l'éthique, voire de la morale. D'ici quelques mois donc, les éléments de la brigade de Djanet seront à pied d'oeuvre pour participer à cette vaste entreprise qui ne sera pas, assurément, une partie de plaisir. Les pouvoirs publics, quant à eux, ont, réaffirmé leur détermination à préserver les richesses dont regorge le parc du Tassili, mais encore faut-il donner corps à ces engagements. Avec les douanes en tout cas le coup d'envoi a bien été donné.