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"Macron n'est pas obsédé par le passé colonial"
SPECIAL ALGERIE - FRANCE: LE PR BELAID ABANE, ESSAYISTE, À L'EXPRESSION
Publié dans L'Expression le 05 - 12 - 2017

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Auteur de plusieurs livres sur l'histoire et professeur en médecine dans un hôpital parisien, Belaid Abane s'est forgé un prénom car son nom était déjà fait. Il n'est autre que le neveu de l'architecte de la révolution algérienne, Abane Ramdane. En analyste averti, il décrypte dans cet entretien, les enjeux de la relation algéro-française à l'aune de la nouvelle génération incarnée par le président Emmanuel Macron.
L'Expression: Une réconciliation globale est-elle envisageable entre l'Algérie et la France comme cela a été le cas entre l'Allemagne et la France?
Bélaïd Abane: La réconciliation franco-allemande s'inscrit en toute logique dans la nouvelle forme d'organisation des Etats européens. L'Europe est née certes, de la raison économique, mais aussi d'une volonté d'oublier le passé et de conjurer les conflits de l'avenir. La glaciation franco-allemande se réchauffe par principe de réalité. Car on ne peut concevoir une Europe, même économique, sans l'axe franco-allemand. C'est le point de départ d'une réconciliation raisonnée que scelleront en 1984 François Mitterrand et Helmut Kohl par une chaleureuse poignée de main sur un ancien champ de bataille. Mais cette réconciliation n'échappera pas à l'achoppement mémoriel. L'Allemagne se voit reprocher épisodiquement ses pêchés originels. C'est cela le modèle que vous évoquez. La réconciliation franco-algérienne est également un fait avéré quoi qu'on dise. Sur le plan politique, on peut considérer que les relations sont stables, même si des sautes d'humeur épisodiques peuvent faire penser le contraire. Du reste, même l'amour fou n'exclut pas les anicroches de temps à autre. Sur le plan économique, les PME/PMI algériennes restent très liées à l'économie française. Les relations culturelles et scientifiques restent très denses, même si la France, notamment depuis la période Sarkozy, avait commencé à restreindre les flux d'étudiants en provenance d'Afrique du Nord et tout particulièrement d'Algérie. L'engouement des Algériens, médecins, scientifiques, étudiants du 2e cycle et doctorants... reste très vif pour la destination France.
Il est vrai que la barrière de la langue n'est pas le premier obstacle à franchir pour les Algériens. Récemment, la déferlante de jeunes à l'assaut du Centre culturel français d'Alger montre s'il en était besoin que les Algériens sont plus dans le pragmatisme que dans l'idéologie. Si on ajoute à tout cela la densité exceptionnelle des relations humaines et des interférences démographiques, on peut affirmer que les deux pays sont condamnés à la réconciliation irréversible. Je vous rappelle qu'il y a près de 10 millions de Français qui ont un lien plus ou moins dense avec l'Algérie. Comme rien n'est parfait, la question de la mémoire revient épisodiquement pour tiédir le climat des relations franco-algériennes. En Algérie la question resurgit, comme la cerise qui manque au gâteau, en période d'euphorie économique ou de surenchère politique. En France les lobbies de la mémoire font entendre leurs voix à chaque grande échéance électorale. C'est de bonne guerre des deux côtés.
Le président Macron sera en visite officielle en Algérie début décembre. A votre avis annoncera-t-il quelque chose dans ce sens?
Il est peu probable que le président Macron revienne sur la question de la mémoire au cours de son voyage. Et qu'il réitère sa dénonciation du «crime contre l'humanité», cette audace inédite d'un candidat à la présidence de la République française. D'abord parce qu'il est président et que politiquement, côté algérien, il n'a plus rien à gagner en faisant mousser la question mémorielle. Et cela peut être contre-productif dans une opinion française que commence à gagner le doute quant à la réussite du redressement économique que promet et promeut le nouveau chef de l'Etat français. Il y a aussi que pour Emmanuel Macron, le passé colonial, la guerre d'Algérie...ne font pas partie de ses obsessions. Il est jeune, et son élection a provoqué une rupture de filiation dans l'histoire politique française. Il n'appartient ni à la gauche ni à la droite ni même au centre. Issu de la technostructure, son dada c'est l'Europe et sa place dans le défi mondialiste. De plus, il ne traîne pas comme un boulet aux pieds le passé et la guerre coloniale que portent comme un péché originel la gauche et la droite françaises héritières de la Sfio mollétiste et du gaullisme, ces deux mouvances qui ont fait inutilement durer la guerre d'Algérie durant près de 8 ans. Macron n'est dépositaire ni du gaullisme ni du mitterrandisme. Il incarne une France de la jeunesse et de l'avenir. Et c'est comme ça que le perçoivent les Algériens. La question mémorielle pèsera très peu dans l'avenir des relations franco-algériennes, même s'il n'est pas exclu qu'elle resurgisse périodiquement de chaque côté de la Méditerranée, comme la piqûre de rappel destinée à mobiliser ou à faire pression. C'est le principe de réalité économique et sécuritaire qui déterminera l'avenir des relations franco-algériennes. Les entreprises et les producteurs français qui sont en difficulté depuis le sursaut russe, ne peuvent pas s'aliéner un marché algérien qui, d'ailleurs, se ferme de plus en plus en raison d'une baisse drastique des revenus pétroliers. De l'autre côté, une Algérie en grande difficulté économique, en situation d'incertitude politique et sur le qui-vive sécuritaire à toutes ses frontières, ne peut pas se payer le luxe d'une brouille mémorielle avec une France qui partage avec elle l'essentiel de ses préoccupations sécuritaires sahéliennes même si chacune obéit à la logique de ses propres intérêts. Je le disais dans vos colonnes il y a quelques mois, ce qui prévaudra dans le différend mémoriel franco-algérien, c'est le statu quo.
Y a-t-il un remède pour apaiser cette douleur de la mémoire?
Si vous me le permettez, je voudrais revenir au sens des mots pour qu'on sache de quoi on parle. Et d'abord qu'est-ce que la mémoire? La mémoire c'est la façon dont sont perçus par un peuple, un groupe ou même des individus des événements vécus dans le passé. Cette perception structure alors une identité nationale au point parfois de devenir une foi sacrée. En Algérie, le vécu colonial et la mémoire de la guerre de libération sont de puissants éléments de l'identité algérienne et constituent même le ciment de l'unité nationale. Or ce même passé est perçu selon une échelle inversée par d'autres groupes comme les rapatriés d'Algérie (juifs, pieds-noirs, harkis «anciens d'Algérie»...) ou même par le peuple français. La mémoire algérienne faite de douleurs, d'héroïsme, du sentiment de fierté d'avoir conquis au prix d'immenses sacrifices, la liberté et l'indépendance est presque l'exacte antinomie de la mémoire du peuple français et des groupes qui le composent. Pour ces derniers, il y a bien entendu la douleur et le déchirement, mais ces deux sentiments sont à l'inverse de la mémoire algérienne, plutôt teintés de dépit, d'aigreur, d'amertume et de ressentiment auxquels s'ajoute dans l'esprit de certains un sentiment d'échec et de gâchis. Rappelez-vous cette notion d'«occasions manquées». Vous voyez donc que la conciliation des mémoires est difficilement concevable. Du reste, même l'approche historienne censée reposer sur des données objectives pouvant être acceptées par tous, individus, groupes, peuples, quel que soit leur imaginaire mémoriel, est souvent différente d'un historien à l'autre en fonction de son idéologie, de ses origines et de ses attaches culturelles. Si l'Allemagne nazie était sortie vainqueur de la Seconde Guerre mondiale, les historiens allemands auraient écrit l'histoire à la gloire d'Hitler et du régime nazi.
L'histoire n'est pas une science exacte. Tout est relatif. Il y a donc un vrai problème d'objectivité. De manière générale, même les historiens ne produisent que de «l'histoire mémoire» selon la formule réaliste de Pierre Nora. C'est le récit national qui permet de structurer la nation et renforcer sa cohésion. Bien entendu ce récit n'est pas à l'abri de l'instrumentalisation par un homme, un groupe ou un régime à des fins de pouvoir. Et c'est souvent le cas. Quant à l'apaisement des mémoires algérienne et française, c'est autre chose. On peut dire que le temps a fait son oeuvre. Car le réalisme politique et économique, les rapports de force Nord-Sud très déséquilibrés, le turn-over générationnel, finissent toujours par mettre en sourdine les rancunes, les animosités et autres ressentiments.
L'ouverture des archives françaises et algériennes de la guerre d'Algérie est-elle souhaitable?
Le problème n'est pas de savoir si l'ouverture des archives est souhaitable ou pas. Car de toute façon il va bien falloir y venir un jour. C'est prévu en France pour 2022 car la loi prévoit un délai de 60 ans. Au demeurant une grande partie des archives civiles et militaires ont été ouvertes même si pour des raisons de respect de la vie privée des personnes, il y a encore des limitations par la dérogation. L'Algérie reste très pudique sur l'ouverture des archives françaises et assez réfractaire à l'ouverture de ses propres archives de la guerre de Libération nationale. Ceci dit, je vais quand même répondre à votre question. Il est certain que l'ouverture sans limites des archives de quelque côté que ce soit, risque d'ouvrir la grande boîte de Pandore de la guerre d'Algérie. D'un côté comme de l'autre de la Méditerranée, risquent de s'en échapper quelques épisodes de la guerre pas jolis à raconter aux nouvelles générations.


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