Laurent Fabius et Mourad Medelci «Ce qu'il faut surtout pour la paix, c'est la compréhension des peuples. Les régimes, nous savons ce que c'est: des choses qui passent. Mais les peuples ne passent pas.» Charles de Gaulle Laurent Fabius, ministre d'Etat, ministre des Affaires étrangères, était à Alger pendant deux jours. Il a passé en revue avec son homologue algérien l'état des relations algéro-françaises mises à mal sous la mandature de Nicolas Sarkozy pourtant «héritier du gaullisme». Cette visite de Laurent Fabius a une forte charge symbolique de l'orientation et on se prend à espérer, malgré les expériences précédentes, que les nouvelles autorités françaises, à leur tête le président François Hollande, veulent impulser la relation entre l'Algérie et la France avec une rupture réelle avec la politique de ses prédécesseurs. Plus largement, il est vrai que sous pratiquement tous les gouvernements socialistes -gouvernement de Mitterrand y compris- la politique arabe de la France a été reléguée au second plan. Il a fallu les deux mandats de Chirac pour lui redonner une existence symbolisée par deux événements majeurs, d'abord la visite de Chirac à Jérusalem qui a failli donner lieu un incident diplomatique quand ce dernier a été empêché d'approcher les Palestiniens, dans le même ordre, Lionel Jospin en visite aux territoires palestiniens occupés a été accueilli par des jets de pierres, pour avoir traité les combattants du Hamas de terroristes. Le deuxième et dernier événement planétaire fut le discours mémorable de De Villepin en février 2003 aux Nations unies, s'opposant en vain, à l'invasion de l'Irak par un Bush tenté par l'Empire et que rien ne pouvait arrêter. Ce fut une standing ovation dans cette enceinte connue pour ses salamalecs. Avant de traiter des relations étrangères de la France avec le Maghreb et spécifiquement avec l'Algérie, nous allons décrire justement, les fondamentaux de la politique extérieure de la France envers les Arabes. La Politique arabe de la France Y a-t-il par-delà les présidents de passage, une politique arabe de la France ou est-ce un mythe? Pour Mathieu Bouchard «l'expression qui suppose l'existence d'une politique française traditionnelle et autonome vis-à-vis du Monde arabe. Pour en juger, on peut tout d'abord reprendre la définition qu'en donne, dans un discours au Caire en 1996, Jacques Chirac, pour qui «la politique arabe de la France doit être une dimension essentielle de sa politique étrangère». Initiée dans les années 1960 par le général de Gaulle, elle reposerait sur quatre piliers: la France considèrerait les Etats arabes comme ses égaux, elle admettrait que l'indépendance est un droit pour les Arabes, elle reconnaîtrait que le Monde arabe comme réalité et totalité existe, elle s'engagerait à y défendre la paix. Le général de Gaulle renouerait ainsi, ce que s'accordent à reconnaître certains historiens, avec une histoire interrompue, celle de Napoléon III et de sa politique du «royaume arabe». Anticipant le délitement de l'Empire ottoman, Napoléon III, tout en poursuivant la colonisation de l'Algérie, était intervenu en 1860 au Levant aux côtés des chrétiens d'Orient et avait caressé le rêve d'un Etat arabe indépendant allié de la France.» «Les successeurs de De Gaulle poursuivent le rapprochement engagé avec les Etats arabes: alors que les Etats-Unis s'alignent sur Israël, le prestige de la France dans les pays arabes est grand. Les entreprises françaises en profitent pour conquérir des marchés pétroliers et des contrats d'armement. La fin de la Guerre froide et la guerre du Golfe semblent constituer un tournant: en 1991, Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, déclare au Monde qu'«évoquer le Monde arabe est un mythe en soi, une politique arabe en est un autre». Malgré la volonté du président Chirac de relancer la politique arabe de la France, celle-ci serait-elle révolue? Selon Maurice Vaïsse, la politique arabe de la France n'avait un sens que «du temps de la Guerre froide, comme élément d'affirmation de la France face aux grandes puissances.» La politique arabe de la France ne serait donc pas inscrite dans ses gènes et n'aurait été qu'une stratégie circonstancielle pour défendre des intérêts politiques et économiques. Elle demeure cependant comme référence mythique.» (1) On peut comprendre que le gouvernement socialiste ait pris ses distances avec les Arabes au vue de son histoire et de son alignement injuste sur la position d'Israël concernant l'occupation illégale de la Palestine qui, à des degrés divers intéresse les pays arabes. Mais comment comprendre la politique erratique de la France sarkozienne qui, tournant le dos à tout un capital patiemment tissé sous les gouvernements gaullistes, et bien que détricoté en partie sous Mitterrand, hypothèque l'indépendance de la France par son entrée dans l'Otan et ses relations malsaines avec les roitelets du Golfe associant de ce fait la «diplomatie de la canonnière» avec «la diplomatie du chéquier» avec le Qatar bulle gazière avec un sabre en main dans l'aventure qui a vu la mort d'un homme appartenant à une sphère maghrébine et qui aurait pu constituer une profondeur stratégique de la France. La politique actuelle de la France: le changement dans la continuité? Le professeur Bertrand Badie avec la perspicacité coutumière répondant à des questions lors d'un débat sur Internet consacré justement à la politique étrangère de la France à la veille des élections d'avril 2012, déclare: «ll est à se demander si Hollande n'assure pas une continuité avec Sarkozy en politique étrangère. C'est en tout cas l'impression qui s'en dégage. N'oublions pas que le gaullisme a réinventé une politique étrangère française au début de la Ve République sur un mode des plus volontaristes: le général de Gaulle cherchait à dire quelque chose de différent, et s'efforçait surtout de trouver de nouveaux leviers à une politique étrangère qui n'était plus celle d'une puissance de premier rang. La banalisation de la politique étrangère française à travers sa réorientation atlantiste et la disparition de sa politique envers le Sud, et notamment le Monde arabe, rendent cette politique évidemment moins audible. Mais je reviens sur l'autre facteur, davantage lié à l'histoire des idées politiques en France: la droite a été depuis toujours divisée entre un courant libéral axé en même temps vers l'intégration européenne et la solidarité atlantique, et un courant bonapartiste, puis gaulliste, qui choisissait l'option inverse; la gauche s'est partagée entre une orientation sociale démocrate qui sympathisait volontiers avec les idées atlantistes et une autre plus radicale qui, au contraire, s'en désolidarisait. Pendant la période mitterandienne, Bertrand Badie distingue des périodes différentes: «Avec Claude Cheysson, puis Roland Dumas se mêlaient des références tiers-mondistes et souverainistes qui ont contribué clairement à éloigner la gauche des options atlantistes d'antan. Avec Laurent Fabius, une référence plus explicite était faite au thème des droits de l'homme, autour duquel le jeune Premier ministre voulait bâtir une diplomatie alternative. Ce n'est que bien plus tard, et à l'initiative notamment de Bernard Kouchner, qu'on a vu les options néoconservatrices faire leur apparition au sein même de la gauche socialiste...» (2) La nouvelle politique étrangère française est que celle-ci a rompu avec le gaullisme, probablement à la faveur de l'élection de 2007, mais aussi déjà quelques années auparavant: dès 2004, en effet, on voit la France se rapprocher substantiellement des Etats-Unis et de l'Otan. La diplomatie française n'a cessé de s'éloigner de la position d'équilibre que la tradition gaulliste avait pu un temps imaginer sans, il est vrai, parvenir à l'accomplir. La France apparaît aujourd'hui clairement comme l'alliée d'Israël: la proximité sans cesse renforcée entre l'Europe et l'Etat hébreu, notamment quand la première conclut de nouveaux traités avec le second; (...) Ce que les Etats-Unis n'ont pas su faire en Irak, ce que la coalition occidentale n'a pas réussi en Afghanistan, pourquoi et comment la France pourrait-elle le réaliser dans le Sahel?» A une question si finalement, Hollande ou Sarkozy, c'est le changement dans la continuité d'une France en recul dans le monde, sans singularité en politique étrangère, ni fidélité avec son message d'éthique et universaliste? Bertrand Badie répond: «Je serais enclin à partager votre analyse. En la lestant de deux questions. La première pour m'interroger sur les raisons d'une telle paralysie. La force du général de Gaulle est d'avoir trouvé, à travers une certaine idée de l'Europe et une audacieuse ouverture au Sud réalisée grâce à la décolonisation. (...) Avec la crise irakienne, la diffusion du néoconservatisme, l'élargissement vers l'Est, la France a perdu la main diplomatique en Europe. On pourrait prolonger encore et se demander si la France peut encore trouver les ressources d'une diplomatie propre dans une Europe ainsi mutilée et dans un atlantisme qui perd toute signification avec la fin de la bipolarité.» (2) La politique algérienne de la France La politique algérienne de ces 50 dernières années est ambiguë après les premières années marquées par des rétorsions dues à la trop grande proximité de la fin de la guerre. Un consensus transversal concernant la politique avec l'Algérie que l'on soit de droite ou de gauche. Pratiquement toutes les visites se soldent par les mêmes communiqués des mots creux sans épaisseur avec des périodes aigues de tension notamment sous la présidence Sakozy qui après son «homme africain n'est pas entré dans l'histoire», il vient à Constantine dire aux Algériens qu'il assume, qu'il n'a pas à se repentir des excès de part et d'autre renvoyant dos à dos l'opprimé et l'oppresseur. Les mêmes carottes sont agitées depuis cinquante ans (relations privilégiées tissées par l'histoire,circulation des personnes, miroir aux alouettes des archives d'un partenariat d'exception) Un temps avec Jacques Chirac nous avons cru à un traité d'amitié qui aurait pu être une issue honorable au contentieux mémoriel algéro-français mais jamais les vrais problèmes, qui auraient pu amener à un nouveau départ, n'ont été abordés de face. Ce que pourraient être les relations algéro-françaises Quel est le pire pays où les Français souhaiteraient vivre? À cette question posée dans un sondage publié dernièrement par le site du Huffington Post, 82% des Français répondent l'Algérie. Pourquoi cela? Il y a d'abord les plaies de part et d'autre que le temps n'a pas encore résorbées. Doit-on baisser les bras et laisser les choses empirer? Qu'en sera-t-il des futures relations de Hollande avec l'Algérie? Tout d'abord, il ne faut pas faire dans l'angélisme; il existe des thèmes en France qui transcendent les clivages droite -gauche, notamment sur l'émigration, la finalité est la même: le contrôle de l'émigration, seule la méthode est dit-on plus humaine. Il en est de même de la politique extérieure. Une première réponse est donnée par le président algérien Dans un message à François Hollande, il écrit: «Il est temps d'exorciser le passé en faisant ensemble, dans des cadres appropriés, un examen lucide et courageux qui contribuera à renforcer nos liens d'estime et d'amitié.. Les relations entre l'Algérie et la France ont précédé la période coloniale qui a marqué plus particulièrement notre histoire commune et laissé des traces durables chez nos deux peuples. Les blessures qui en ont résulté pour les Algériens sont profondes, mais nous voulons, comme vous, nous tourner vers le futur et essayer d'en faire un avenir de paix et de prospérité pour les jeunes de nos pays.»(3) Qu'on le veuille ou pas, des liens stratégiques entre la France et l'Algérie, sont,si on sait y faire, une chance. L'Algérie n'est pas naïve, car le monde est sans pitié, il n'y a pas de philanthropie. Cependant, les Algériens ne sont pas rancuniers, ils ont souffert et demandent que cette souffrance soit reconnue sans détour. Ils ont été soustraits pendant 132 ans du mouvement du monde. Les Algériens ne sont pas des marchands de détresse et ne la quantifient pas financièrement en en faisant une industrie de la pompe à finances au point de dire paraphrasant «la France paiera». Ils veulent en compensation, avec l'aide de la France, dans la dignité, rattraper leur retard scientifique et technologique accumulé pendant 132 ans. Toutes ces actions ne sont pas exhaustives. Une fois le contentieux émotionnel à la satisfaction de chacun, si la France y adhère sincèrement, ce serait une rupture avec les 50 ans d'atermoiements, il y a de vastes chantiers qui pourront inscrire dans le marbre une réconciliation sur le modèle allemand. A titre d'exemple, plusieurs parmi nous ne comprennent pas que l'Algérie qui défend dans les faits la francophonie par un enseignement du français sans émarger au râtelier ne puisse pas voir ériger, à l'exemple de la Bibliothèque d'Alexandrie, une Grande Bibliothèque à Alger qui pourrait compenser dans une certaine mesure les centaines de milliers de livres et manuscrits partis en fumée en juin 1962. De plus, la mise en place d'un Institut d la mémoire pourrait,dans le calme et la sérénité, permettre aux historiens des deux bords d'écrie une histoire à deux mains. La France dans une démarche bien comprise, pourrait contribuer aussi à la recherche et à l'amélioration de l'acte pédagogique universitaire avec la mise en place de grandes Ecoles en renforçant d'abord l'Ecole Polytechnique d'Alger. L'aspect économique devrait prendre aussi toute sa place dans le cadre de relations apaisées et ce ne sont pas les chantiers qui manquent dans le domaine d'une stratégie énergétique que l'Algérie devra mettre en place en tournant le dos aux énergies fossiles. Elle pourrait ce faisant, garantir un approvisionnement régulier et pérenne à la France en partant du fait que chaque calorie exportée est adossée à un savoir-faire endogène de production d'une calorie à partir d'énergies renouvelables créant ce faisant, une richesse pérenne. On le voit c'est une vision nouvelle qui sera d'autant plus porteuse si la France invite plus largement une politique maghrébine qui peut être bénéfique à la France car elle aura en face d'elle une population jeune, un marché de 90 millions d'âmes, un immense territoire et des talents. C'est peut-être cela qui contribuera à une nouvelle indépendance de la politique étrangère de la France avec l'Algérie où la coordination stratégique contribuera à ramener la sérénité dans une région qui, plus que jamais, a besoin de stabilité. 1.http://www.dictionnaire-identitenationale.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=82:politique-arabe-de-la-france&catid=55:horizons-dailleurs-et-politique-de-grandeur&directory=60 2.Bertrand Badie Entretiens. Le Monde.fr 29.03.2012 3.http://www.elwatan.com/hebdo/france/laurent-fabius-a-alger-renouer-le-fil-et-faire-oublier-sarkozy-14-07-2012-178360_155.php