«Le mouvement de protestation actuel des résidents est un mouvement spontané, légitime et indépendant» L'une des revendications qui tient la route parmi d'autres, c'est le vide juridique, l'absence d'expertise médicale (absence de consensus) ainsi que l'opacité de la gestion des directions de la santé qui laissent place au dérapage juridique par procès populaires des médecins. Le corps médical vit sur le rythme des grèves qui se font entendre au niveau de plusieurs centres hospitalo-universitaires (CHU) du pays. C'est le mouvement de protestation et de revendication qui concerne la corporation des médecins-résidents, ces résidents ne décolèrent pas et persistent dans leur réclamation jusqu'à satisfaction de leur plate-forme revendicative qui fait de l'abrogation du service civil son leitmotiv de choix. La tutelle essaye tant bien que mal de traiter ce dossier avec les médecins-résidents sans pour autant sacrifier l'essentiel qui a trait à la notion de service civil, même s'il faut «le relooker et lui faire subir quelques mesures pour assouplir les conditions de travail des futurs assistants de la santé publique, mais le service civil ne sera pas aboli ni mis dans les arcanes», c'est ce qui ressort de l'attitude et de la déclaration du ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, Mokhtar Hazbellaoui. La trame de fond de toute la revendication des médecins-résidents se focalise sur ce «maître mot» qui est le service civil. Est-ce que cette revendication est en cohérence avec la réalité des populations de l'intérieur du pays qui sont livrées à elles-mêmes sans prise en compte concrète et sérieuse en matière de santé publique? Peut-on réviser certains aspects qui ont trait au service civil sans sacrifier le principe de cette démarche? Ce sont des questions légitimes, mais qu'il ne faut pas traiter avec une légèreté susceptible de confondre pêle-mêle les priorités en termes de revendication qui ne voit que l'aspect corporatiste et que l'élément dorsal de la démarche qui sous-tend la notion du service civil soit reléguée au dernier plan, voire minorée. Service civil entre corporatisme et réalité du terrain Le Collectif autonome des médecins-résidents algériens (Camra) s'est exprimé sous toutes les formes qu'exige la loi en matière de revendication y compris le recours à la grève pour entendre sa voix et la faire aboutir. Les animateurs du Camra soulèvent plusieurs points en rapport avec leur corporation en leur qualité de médecins-résidents. Dans ce sens, le médecin-résident, le docteur Hacène Hamadouche, étudiant en troisième année en urologie, un animateur parmi d'autres médecins-résidents de ce mouvement sous la bannière du Camra, souligne que «le mouvement de protestation actuel des résidents est un mouvement spontané, légitime et indépendant. Initié par les résidents suite aux multiples contraintes passées, vécues et celles qui se profilent à l'avenir, il s'est organisé, grâce aux efforts communs des résidents, en collectif national, le Camra 2017», affirme notre interlocuteur qui exerce au niveau du CHU de Beni Messous. Pour ainsi dire, c'est une manière de clarifier une question par rapport au mouvement qui a été déclenché par lesdits médecins-résidents qui agissent d'une façon corporatiste et qui ne cherchent pas à faire de cette structure professionnelle une sorte d'appendice au service d'une obédience politique quelconque. L'animateur de ce mouvement au niveau d'Alger et du CHU de Beni Messous en particulier, Hacène Hamadouche et ses coéquipiers indique qu'ils sont «malmenés par la charge et les conditions de travail ainsi que la difficulté d'exercer sans moyens, dans l'anarchie et l'insécurité. Et pour faire face à l'inaction des tutelles, un mouvement de grève fut décidé et appliqué sur tout le territoire national, sous forme de deux journées par semaine de manière cyclique», et d'ajouter que «c'est une action indispensable et inévitable qui est une conséquence directe des politiques ministérielles, à savoir la débrouille et la discrimination. Nous, résidents, prenons l'initiative du changement par des procédures légales et pacifiques. Le changement se fera par la résolution des problèmes posés», précise Hacène Hamadouche. Certes, les questions liées à l'encadrement pédagogique, les conditions socioprofessionnelles et l'insécurité répandue au niveau des CHU du pays sont des questions que nul ne pourra nier. Le médecin-résident est considéré comme une pierre d'achoppement au niveau des centres hospitalo-universitaires, il est la cheville ouvrière en ce qui concerne la prise en charge des patients sur le plan du traitement médical spécialisé. Cette situation socioprofessionnelle fait ressortir un phénomène qui a été tout le temps relevé par la corporation des médecins résidents qui qualifient leur situation comme étant celle d'éternels étudiants, alors qu'ils ont eu le statut de médecin durant sept années d'études à la Faculté de médecine pour se voir encore une fois subir l'épreuve de la spécialisation qui appartient à la crème des candidats pour en décrocher l'examen national. Le médecin-résident est avant tout un médecin qui cumule deux tâches à la fois, celle de la santé publique et l'autre qui incombe à la tutelle du l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique, pour ainsi dire, le volet pédagogique. Dans le même sillage, l'animateur ne voit pas dans les revendications soulevées par les confrères et consoeurs appartenant au Collectif autonome des médecins-résidents algériens un élément de blocage ni d'impasse, à l'image de celui qui constitue la vraie discorde entre le collectif et les deux tutelles, à savoir le service civil obligatoire, le Service national, le statut du résident (étudiant et travailleur) et sa formation, la sécurité physique du médecin lors de l'exercice de ses fonctions et la sécurité juridique. Des médecins-résidents pour son maintien De ce point de vue la question est autrement conçue par d'autres médecins-résidents qui ne s'inscrivent pas dans la démarche du Camra. C'est le cas du médecin-résident travaillant au service d'urgences médico-chirurgicales (UMC) du CHU Mustapha-pacha, le docteur Khalifa Khalil qui déclare que «je ne m'inscris pas dans la démarche du Camra pour une raison relevant du principe. Pourquoi on rejette d'emblée le service civil, d'autant plus qu'on ne peut pas décider comme ça, d'entamer une grève sans faire participer l'ensemble des résidents. Qui a décidé cette démarche? Je dis que la question qui se pose est celle des salaires, surtout en ce qui concerne les médecins-résidents de la première année et de la deuxième année. Sans pour autant fermer les yeux sur l'encadrement pédagogique qui fait défaut de façon terrible», souligne le médecin-résident en première année résidanat dans la spécialité «chirurgie générale», le docteur Khalifa Khalil. Ce résident et ses collègues considèrent que la démarche suivie et qui consiste à abolir le service civil «relève de l'irresponsabilité, on ne peut pas rejeter le service civil, c'est une manière pour nous de rendre service aux populations de l'intérieur du pays, plus que ça, c'est la meilleure façon qui puisse exister pour que les futurs assistants apprennent et acquièrent de l'expérience et de la maîtrise dans la spécialité, parce qu'au niveau des CHU et même une fois qu'ils auront obtenu le diplôme de praticiens spécialisés de la santé publique, ce ne sera pas évident d'acquérir ce savoir-faire en la présence des maîtres-assistants et des professeurs au niveau des CHU», atteste le médecin-résident, Khalifa Khalil. Il y a une part de vérité dans ce qu'affirme le médecin-résident, le docteur Khalifa Khalil, par rapport à la question du service civil. Les établissements publics hospitaliers (EPH) sont considérés comme l'espace de prédilection pour les jeunes et anciens spécialistes en leur qualité d'assistants pour qu'ils puissent développer leur compétence et se frayer un chemin sûr au plan de la maîtrise de leur spécialité. D'ailleurs, le service civil est caractérisé par cette nature intimement liée au contenu qui fait de la santé publique une première priorité. C'est dire que la santé publique et le praticien spécialisé constituent la trame de fond de ce qui est appelé communément le service civil, surtout à l'intérieur du pays où les populations souffrent des problèmes de santé qui ont trait aux maladies graves qui nécessitent des interventions chirurgicales très coûteuses dans des cliniques privées. Seule, la santé publique, à travers ses EPH, et les nouveaux assistants sont en mesure de répondre à ce besoin national en interventions de nos spécialistes là où la population est privée de spécialistes et de chirurgiens en la matière. Le Camra s'arc-boute sur l'abrogation du service civil dans sa plate-forme qui énumère des éléments d'une revendication où le réalisable se confond avec l'impossible par rapport aux spécificités telles qu'elles se présentent sur le terrain. L'animateur de Camra, le médecin-résident Hacène Hamadouche, indique que «le service civil est anticonstitutionnel, son abrogation est une nécessité. Une couverture sanitaire nationale pourra être rapidement établie par l'incitation; la mise en place de mesures incitatives telles que le salaire adéquat, la disponibilité de logement et la facilitation de l'accès aux moyens de transport. Le Service national est discriminatoire par une note interne du ministère de la Défense nationale par l'exclusion de la dispense de tous les hommes ayant bénéficié d'une formation médicale ou paramédicale, l'exclusion des plus de trente ans ainsi que l'exclusion du droit à la dispense», souligne-t-il. Les médecins-résidents qui font une fixation sur la question du service civil ont tout de même raison sur d'autres aspects en rapport avec leur travail et le statut dont le ballotage est la caractéristique saillante. D'ailleurs, dans ce sens, ils essayent de faire connaître leur situation en faisant allusion à «la souffrance quotidienne du résident qui est conforté par l'absence de statut légal déterminant de manière claire les devoirs et obligations (de l'étudiant et du travail) ce qui laisse place à des dépassements administratifs et, de ce fait, retentit sur la qualité des soins prodigués. L'absence d'un programme officiel de formation avec supports pédagogiques validés et détaillés ce qui laisse place à une disparité de pratiques médicales sur le territoire national et allant même jusqu'au sein d'un même service», assène le médecin-résident Hacène Hamadouche. L'une des revendications qui tient la route parmi d'autres revendications, c'est le vide juridique, l'absence d'expertise médicale (absence de consensus) ainsi que l'opacité de la gestion des directions de la santé laissent place au dérapage juridique par procès populaires des médecins, selon les animateurs du Collectif autonome des médecins-résidents algériens. Une assistante témoigne La problématique du service civil telle que posée par les futurs assistants et praticiens spécialistes de la santé publique, est autrement vue par une ancienne médecin-résidente qui faisait son parcours de résidanat au niveau du CHU Mustapha-pacha dans la spécialité de la chirurgie générale, c'est-à-dire une viscéraliste. Cette chirurgienne est le docteur Wahiba Hamiti, elle a fait son service civil à l'hôpital «Abdelkader Natour», à Collo dans la wilaya de Skikda. Elle résume le service civil en indiquant que «l'expérience ne peut être acquise que si on s'implique avec force dans des établissement publics hospitaliers où la demande en matière de patients est extraordinaire et le travail est presque quotidiennement chargé à cause du nombre impressionnant de malades sollicitant l'hôpital pour se faire opérer, surtout que ces malades sont connus pour leur vie très modeste et à faibles revenus», précise-t-elle. Dans ce sens, l'assistante en question fait allusion aux moyens rudimentaires dont font l'objet les populations des régions lointaines de cette wilaya et qui ne sont pas en mesure de se permettre le luxe de se faire opérer dans des cliniques privées. Ce drame auquel font face quotidiennement les populations de l'intérieur du pays sur le plan de la prise en charge médicale, surtout en ce qui concerne les soins approfondis et spécialisés, ne peut être jugulé que par «les praticiens spécialisés pour répondre aux besoins cruciaux sur le plan médical de ces populations qui sont dans leur droit d'être soignées et de bénéficier des prestations médicales dans des hôpitaux publics destinés à eux et pour réaliser l'objectif de notre mission relevant de la santé publique», assure-t-elle. Certes, les conditions d'exercer «le métier» diffèrent d'une «région à une autre, mais dans celles qui remontent à 2009, les conditions de base existaient, surtout le logement, mais le plus important dans ce service civil, c'est d'être seul en ta qualité d'assistant et de spécialiste, c'est à toi de te débrouiller pour parer aux problèmes d'interventions sur le plan médical, ce qui va permettre au concerné de tout mettre comme potentiel des années de résidanat en termes d'études et d'apprentissage sur le terrain», mentionne-t-elle. Selon cette assistante qui a effectué son service civil, l'expérience de l'intérieur du pays permet aux spécialistes d'acquérir une expérience qu'ils ne peuvent avoir dans les CHU où le corps professoral et les maîtres-assistants ne laissent pas place aux nouveaux assistants pour opérer les gros malades et apprendre les gestes et les techniques dans un temps record comme c'est le cas durant le service civil où l'occasion d'apprendre les techniques et les demandes sont nombreuses et quotidiennes. Le service civil n'est pas la cause des déboires que connaissent nos hôpitaux, le problème est ailleurs, c'est au niveau de l'encadrement pédagogique et la prise en charge sérieuse du volet socioprofessionnel des médecins-résidents et de leur statut. La problématique doit être résolue à ce niveau.