Les cortèges se font de plus en plus chamarrés et les cérémonies de plus en plus bruyantes. La Kabylie a traversé une période assez critique avec les événements du Printemps noir. Dans une région bouleversée et tragiquement portée à la une de la presse, les festivités et autres cérémonies se sont déroulées dans une atmosphère de tristesse et de profonde désolation. Durant près de trois longues années, les mariages, ces instants combien marquants dans la vie du couple et des familles, les circoncisions inaugurant l'entrée du garçon dans le monde des adultes, se sont déroulés sans faste et dans le silence que requiert le deuil. Mais la vie qui doit bien continuer, a vite repris le dessus et depuis pratiquement l'an dernier, les cortèges se font de plus en plus chamarrés et les cérémonies de plus en plus bruyantes. Dans les villes et les villages, la fête semble bien avoir repris le dessus. Les mariages en ville ressemblent pratiquement point par point à ces fêtes qui se déroulent ailleurs dans les grandes villes, comme Alger ou ailleurs. Mais dans les villages, là où bat le coeur de la Kabylie, les cérémonies ont un cachet typique qui leur assure un charme certain. La veille de la cérémonie, le marié invite tout le village pour un grand couscous à la viande de mouton, une festivité qui se déroule après que la maman eut visité tous les lieux saints de la région où elle aura allumé des bougies et fait des offrandes. Les offrandes accompagnent le voeu des mères pour que la future bru soit une femme douce et surtout pour qu'elle donne un garçon comme premier-né à la famille. Jeddi Menguellet, Sidi Ali Moussa et les autres lieux saints sont ainsi visités et honorés afin qu'ils «intercèdent auprès du Tout-Puissant et faire en sorte que les voeux de la famille soient exaucés». Dans d'autres familles, on commence par «faire attention aux vieilles qui sont capables de jeter des sorts au marié et notamment sous les agissements des familles jalouses ou ennemies ». La famille de la mariée prend d'autres précautions. Elle interdit par exemple à la future mariée de sortir pendant une période pouvant aller jusqu'à vingt jours. Elle est carrément cloîtrée. Ce n'est qu'une fois dans sa demeure et après avoir reçu l'eau sucrée en aspersion «pour la protéger des envieux» elle sort de chez ses parents sous le bras de l'un des ses parents: père, oncle ou frère ou cousin. Une fois chez elle, dans son nouveau foyer, la mariée entre d'abord du pied droit, on lui remet du lait et des figues ou des dattes, une tradition veut que ce soit sa belle-mère, la tante de son époux ou encore sa belle-soeur qui lui remet cela. Ensuite, on lui lance des oeufs durs. Une fois dans sa maison, on commence par lui mettre un bébé, un garçon de préférence, dans les bras afin que son premier-né soit justement un garçon. La mariée se repose durant sept jours et au septième jour, on lui donne une pâte à pétrir pour en faire des beignets. Ce n'est qu'à partir de là qu'elle devient réellement membre de la famille. Le jour de la fête et au village, le couscous est partout. Les , les hommes et les enfants du village sont invités et mangent à satiété. En beaucoup d'endroits de la Kabylie, les comités de villages ou les djemaâs ont mis sur pied un code non écrit qui est scrupuleusement appliqué par tous. Ainsi, la dot et les cadeaux de la mariée sont rigoureusement catalogués. La famille doit s'y conformer sous peine de se voir mise au ban. Un père ou une mère désireuse de doter sa fille par exemple de plusieurs effets vestimentaires et autres pièces de literie sont obligés d'attendre que passe la fête pour doter leur fille. Les comités de villages ont eu aussi à limiter et le nombre de voitures qui doivent composer le cortège et aussi la somptuosité des cérémonies. Il n'est pas dit que dans un village, chacun fasse à sa guise car c'est une insulte à la bienséance, et les familles aisées risquent fort de pousser les autres vers... la ruine. Depuis l'année dernière, les fastes sont de mise en ville mais assez bien «contenus» dans beaucoup de villages. Aussi et selon l'endroit, la fête peut être fastueuse ou alors simple et ô combien belle. Généralement, les troupes de tambourins font chauffer la scène et les youyous ponctuent le climat festif auquel tout le village est convié. Après le henné qui est un temps important de la fête, un moment où les cadeaux des parents et amis, la plupart en sommes d'argent, remis à la mariée tout comme au marié qui, chacun chez ses parents, enterre sa vie de célibataire, donc les cadeaux pleuvent. Ensuite et sous l'air des «tibougharines», ces complaintes généralement magnifiant les hommes de la famille, on procède à la pose du henné. Dans quelques villages, le couple réuni se partage le même henné et alors la mariée et le futur époux se «disputent» autour du plat de henné. Mais en tout état de cause, ce henné est gardé jalousement contre toute tentative de quelques sorcières qui pourraient avec ce henné préparer des onguents et autres pommades ensorcelées. Si en plusieurs endroits, la robe blanche est désormais entrée dans le rituel, en d'autres lieux c'est toujours le haïk et le burnous qui voilent la mariée. Dans la plupart des familles de Kabylie, l'aspect festif, certes limité dans beaucoup de villages par les djemaâs, prévaut. La Kabylie semble «organiser» de plus en plus de mariages. Même si en réalité, les filles se marient de plus en plus tard et les garçons ont tendance à se marier le plus tard possible avec les exigences de la vie moderne, les filles désormais attendent de finir leurs études supérieures ou encore de ramasser un certain pactole en travaillant avant de convoler. Les garçons essaient, quant à eux, d'avoir d'abord et un travail et un appartement. C'est ce qui d'ailleurs explique cet âge de plus en plus tardif des couples qui s'unissent par rapport à l'âge des couples de l'ancienne époque. La Kabylie, qui a tourné le dos au malheur, semble avoir dépassé le deuil et de plus en plus, les fêtes empruntent les voies festives.