La littérature algérienne d'expression française de l'avant-guerre a produit de grands écrivains dans les personnes de Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri,, Kateb Yacine, Malek Haddad, Assia Djebar, Mohammed Dib. Chacun avec son style propre, a écrit avec passion «l'Algérie» qui est «Nedjma», la «Colline oubliée», «Le fils du pauvre», «La Soif», «Je t'offrirais une gazelle», «Dar Sbitar», chef-d'oeuvre de Dib. Ce dernier, décédé en mai 2003, a été incontestablement le témoin de la société algérienne du milieu du XXe siècle de l'après-Seconde Guerre mondiale. A l'encontre de ses contemporains Mammeri, Feraoun, Kateb ou Haddad, dont les oeuvres sont rares, restreintes, Mohammed Dib a été en revanche prolifique. Auteur fécond, romancier de talent, poète sensible, homme de théâtre inspiré, narrateur inventif, dont chaque page, d'une oeuvre immense, est un témoignage. Donc une production de qualité qui donna à l'écrivain de dépeindre avec passion la société algérienne à la veille de la guerre de Libération nationale Une oeuvre dédiée à la femme algérienne comme en témoigne sa trilogie immortelle, «La Grande Maison» (1952), «L'incendie» (1954), «Le Métier à tisser» (1957). C'était en pleine période de décolonisation. L'oeuvre de Dib est dans le même temps une dénonciation de la condition faite aux Algériens et aussi une attestation vivante d'une société qui s'éveille peu à peu au nationalisme. Né à Tlemcen en 1920, il y suit des cours à l'école française, puis fait des études à Oujda (Maroc). A l'instar de Malek Haddad, Mohammed Dib, avant de prendre la plume, passa par le travail manuel, étant tour à tour fabriquant de tapis, comptable ou instituteur. Il fut même interprète pour les Alliés débarqués à Alger en 1942. Cela lui permit de regarder de l'intérieur une société dont il fera une description «ethnographique» qui marquera les critiques de l'époque. Un jour de 2003, Mohammed Dib est donc parti comme il a toujours vécu: avec élégance, sans déranger personne. Il ne savait pas faire autrement. Chez lui, le savoir-vivre était inné. Mohammed Dib, c'est une production littéraire de plus d'un demi-siècle avec plus de 80 oeuvres entre romans, poèmes, essais, théâtre, chroniques et textes divers. Durant, toute sa vie, Mohammed Dib a été un de ces porteurs de la flamme inextinguible qui anima une poignée d'hommes de culture algériens qui surent, outre porter haut par leur engagement sur le terrain de la pensée le combat libérateur du pays, parler avec les mots du coeur de ces Algériens, que le colonialisme opprimait et parquait dans des ghettos. Mohammed Dib était de ceux-là qui immortalisa, notamment dans sa lumineuse et immense trilogie le vécu de ces petites gens. Une trilogie qui restera à jamais une référence d'une Algérie populaire - au sens de «chaâbia», terme intraduisible en français - qu'il sut traduire par des mots qui savaient dire les drames et les espoirs de ces hommes et de ces femmes, laissés-pour-compte par le colonialisme. Cette Algérie était celle de Mohammed Dib qui, quelques mois avant sa mort, expliqua, au journal français Le Monde, lors de la sortie de son roman Simorgh (Albin Michel 2003) «Mes images mentales se sont élaborées à travers l'arabe parlé, qui est ma langue maternelle. Mais cet héritage appartient à un fonds mythique commun. Le français peut être considéré comme une langue extérieure - bien que ce soit en français que j'ai appris à lire - mais j'ai créé ma langue d'écrivain à l'intérieur de la langue apprise...Je garde ainsi la distance ironique qui a facilité l'investigation sans passion.» Penser dans la langue maternelle tout en écrivant dans la langue, qu'il définit si joliment, d'«extérieure» était surtout une manière de dire cet attachement viscéral au pays. Noter qu'il ne considère pas le français comme langue «étrangère», mais «extérieure». Toute la nuance est là. Surtout dans un pays qui n'a pas fini de se défaire de ses faux problèmes. Ecrire dans cette langue «extérieure» était en vérité le propre de tous les écrivains de sa génération qui ont produit des chefs-d'oeuvre, qui avaient en commun cet amour de la mère patrie, l'Algérie, même s'ils la disaient, la chantaient dans la langue de «l'Autre». C'est dire les liens ombilicaux qu'entretenaient les écrivains et hommes de culture de la génération des années 50 avec la langue maternelle, arabe parlé - dialectal - pour les uns, kabyle ou chaoui, pour les autres, qui inspirèrent des oeuvres immenses, universellement reconnues. De fait, l'universalité de l'oeuvre de Mohammed Dib - et de ses contemporains, qui ont donné sa dimension internationale à la littérature algérienne - tient à cette vérité de l'écriture aux personnages spécifiques qui donnèrent son altérité, son volume et son originalité à son oeuvre. Avec la disparition de Mohammed Dib s'est clos un chapitre singulier de la culture d'un peuple qui, malgré l'état d'analphabétisme où le maintint le colonialisme, a su produire un Mohammed Dib, une sommité de la littérature algérienne d'expression française.