La visite à Paris du président turc, Recep Tayyip Erdogan, placée sous le signe du pragmatisme (photo archive) Le président français Emmanuel Macron a accueilli hier à Paris son homologue turc Recep Tayyip Erdogan, qui espère renouer le dialogue avec l'Europe malgré les vives critiques sur la situation des droits de l'homme dans son pays. M. Erdogan est arrivé à 13h35, avec 50 minutes de retard sur l'horaire prévu, à l'Elysée où le président français l'a salué devant la Garde républicaine et de nombreux journalistes, notamment turcs. Les deux dirigeants devaient avoir un entretien en tête à tête avant un déjeuner suivi d'une déclaration commune devant la presse. Cette visite, la plus importante du président turc dans un pays de l'UE depuis le putsch manqué de 2016, fait grincer des dents en France. Les deux dirigeants ont promis un dialogue franc et sans concession sur les droits de l'homme. Emmanuel Macron a affirmé qu'il évoquerait avec son invité «la situation des journalistes emprisonnés» en Turquie. La présidence turque, y voyant un «manque d'information» de sa part, a assuré qu'elle lui remettrait une présentation détaillée et documentée de la situation judiciaire des cas incriminés. «Le président français doit s'engager davantage en faveur des droits humains en Turquie», proclame Amnesty International dans une pleine page hier dans le quotidien Libération. «L'Etat de droit n'est plus respecté» dans ce pays sur lequel une répression brutale s'est abattue depuis une tentative de coup d'Etat en juillet 2016, poursuit l'organisation, dont le président en Turquie est lui-même emprisonné. Plus de 140 000 personnes ont été limogées ou suspendues et plus de 55 000 ont été arrêtées, dont des universitaires, des journalistes et des militants pro-kurdes, accusés de propagande «terroriste» ou de collusion avec les réseaux du prédicateur Fethullah Gülen. Des militants de Reporters sans frontière (RSF), brandissant des portraits de journalistes emprisonnés, se sont approchés de l'ambassade de Turquie, avant d'être stoppés par la police. «Aujourd'hui, les prisons turques sont remplies de journalistes qui n'ont fait que leur travail», a déclaré Christophe Deloire, secrétaire général de RSF, dénonçant une «chape de plomb» dans ce pays, 155è sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse, avec des dizaines de journalistes en détention et plus de 150 médias fermés. Au-delà des sujets de contentieux, les deux présidents veulent discuter de la Syrie, sur laquelle ils ont certains points de convergence, et de l'Europe. «Je pense que la coopération entre la France et la Turquie est d'une importance vitale pour la paix régionale et mondiale», a déclaré M. Erdogan avant son départ pour Paris. Ankara comme Paris cherchent à peser dans les négociations engagées pour mettre fin au conflit syrien qui a fait plus de 340 000 morts depuis mars 2011. La Russie et l'Iran - alliés de poids du président du régime syrien - et la Turquie, soutien de la rébellion, proposent de réunir le régime syrien et les rebelles fin janvier à Sotchi (Russie) pour avancer vers un règlement politique. Emmanuel Macron critique cette initiative et souhaite une plus grande implication des Occidentaux. Mais tout comme son homologue turc, s'il ne fait plus du départ du président syrien Bachar al-Assad un préalable, il le juge aussi à terme inéluctable. Le président Erdogan compte par ailleurs relancer ses relations avec l'Europe, considérablement dégradées depuis la vague de répression dans son pays et le quasi-gel des négociations d'adhésion de la Turquie à l'UE. «Si l'Europe reste un formidable espoir (..) c'est grâce à la France», écrit-il dans une tribune hier au quotidien Le Figaro, alors que ses relations restent houleuses avec la chancelière allemande Angela Merkel qu'il a taxée de «nazie». «J'espère que la France continuera d'apporter tout son soutien à notre processus d'adhésion», ajoute-t-il en se félicitant également de ses prises de position sur le statut de Jérusalem, l'Irak ou la Libye, qui «ont considérablement rapproché nos pays». Soucieux de «pragmatisme», le président français compte renforcer la coopération avec Ankara sur deux dossiers liés à la crise syrienne: le «terrorisme» jihadiste et la crise migratoire.