La question du départ anticipé du président sud-africain Jacob Zuma, qui divise profondément son parti depuis des semaines, a plongé hier le pays dans la crise politique, avec le report du discours annuel du chef de l'Etat devant le Parlement. La présidente du Parlement, Baleka Mbete, a pris une décision historique hier en reportant, à une date indéterminée, le discours sur l'état de la nation prévu demain. «Nous avons pensé qu'il était nécessaire d'assurer un climat politique plus propice» au discours du président, a-t-elle justifié. La crise qui empoisonnait le Congrès national africain (ANC), au pouvoir depuis la fin du régime d'apartheid en 1994, perturbe désormais le bon fonctionnement de l'Etat. Depuis des semaines, l'ANC se déchire sur le sort à réserver au sulfureux Jacob Zuma, éclaboussé par de nombreux scandales de corruption. Le président est devenu bien trop encombrant pour les partisans du nouveau chef de l'ANC, Cyril Ramaphosa, qui tentent de le pousser au plus vite vers la sortie alors que se profilent les élections générales de 2019. Les pro-Zuma insistent eux pour que le chef de l'Etat termine son second mandat qui prend fin l'an prochain. Depuis des semaines, l'ANC a multiplié les réunions officielles et tractations en coulisses sans parvenir à une décision. L'affaire est devenue encore plus pressante à l'approche du discours annuel du président sur l'état de la nation, finalement repoussé. Dimanche soir, la direction du parti a rencontré le président Zuma à sa résidence de Pretoria pendant deux heures. Selon plusieurs sources proches du parti, le chef de l'Etat, qui s'est jusque-là joué de tous les obstacles politiques et judiciaires placés sur sa route, a catégoriquement exclu de démissionner. Lundi, c'était au tour du comité de travail de l'ANC d'être convoqué en urgence pour «discuter de l'avenir du président Jacob Zuma», selon la secrétaire générale adjointe du parti, Jessie Duarte. Une fois de plus, il s'est avéré qu'il y avait des «positions différentes» sur le sujet, a-t-elle reconnu hier. Ce dossier empoisonné a du coup été transmis à la plus haute instance décisionnaire du parti, qui doit se réunir au Cap, la capitale parlementaire. «Nous espérons qu'une position sur ce sujet se dégagera à l'occasion du Comité national exécutif (NEC)», a avancé Mme Duarte. Le NEC est en mesure «de rappeler n'importe lequel de ses membres», y compris le président, a-t-elle précisé. En 2008, c'est le NEC qui avait révoqué le président Thabo Mbeki, contraint dans la foulée de démissionner. En Afrique du Sud, le chef de l'Etat tient sa légitimité de son seul parti. Il n'est pas élu au suffrage universel direct, mais par les parlementaires. «Zuma doit partir, et le plus tôt sera le mieux», a estimé hier la fondation Nelson Mandela. Il «a abusé de la confiance des Sud-Africains et trahi le pays dont Nelson Mandela avait rêvé», a ajouté la fondation. La répartition entre les pro et anti-Zuma au sein du NEC, composé de 80 membres, reste cependant floue, laissant planer le doute sur l'issue de la réunion d'aujourd'hui. Depuis l'avènement de Cyril Ramaphosa, «les soutiens à Jacob Zuma s'effritent» pourtant, affirme Erwin Schwella, professeur de sciences politiques à l'université de Stellenbosch. Pour Ben Payton, analyste au cabinet Maplecroft, «il est très probable» que le NEC décide de rappeler le président. Mais il n'est pas exclu que Jacob Zuma, réputé pour sa ténacité, refuse de se soumettre à cette décision. «Zuma ne va pas démissionner», prédit aussi Xolani Dube, analyste pour le groupe de réflexion Xubera. «On ne cesse de répéter que Zuma va partir (...), mais il est toujours là». «Il n'est pas du genre à respecter Ramaphosa» qui lui succéderait en cas de démission, poursuit Xolani Dube. «Pour lui, Ramaphosa n'est pas passé par tous les rituels pour devenir président de l'ANC. Il n'a pas été en prison, il n'a pas été en exil» pendant la lutte contre le régime de l'apartheid, à l'inverse de Jacob Zuma.