L'homme semblait donner des messages codés autant à ses troupes qu'à ses adversaires. L'enregistrement vidéo diffusé avant-hier par plusieurs chaînes satellitaires arabes remet Al Qaîda au-devant de la scène politico-sécuritaire et confirme - si besoin en était - qu'elle reste bel et bien l'inspiratrice des actes de violence terroriste qui secouent la planète. Le cheveu blanchi, le visage serein, le verbe toujours facile et le geste menaçant, Ayman Al Zawahiri est subitement réapparu sur les écrans de télévision égal à lui-même et tel qu'il était en juin 2001, lorsqu'il multipliait les enregistrements vidéo à destination exclusive des Etats-Unis. Cependant, cette fois-ci, c'est un homme qui suit les événements avec intérêt, qui semble avoir une réelle emprise sur eux, à la lumière des «recommandations» qu'il donnait, des messages codés qu'il adressait à ses troupes et des «offres» de paix ou de guerre qu'il proposait à l'Europe et aux Etats-Unis. Exceptionnellement, le docteur égyptien portait un turban noir et ample qui lui tombait le long du buste. Dans la tradition djihadiste, le port du turban noir sur le kamis blanc est un signe de guerre. Le message codé était clair, et il fut largement conforté par la suite, par les paroles. Le kalachnikov adossé au mur, derrière lui, était un autre signe révélateur des dispositions belliqueuses actuelles d'Al Qaîda. La cible de Al Zawahiri était les Etats-Unis, comme de coutume. Le discours prononcé par Condoleeza Rice en Egypte, il y a quelques jours, concernait la nouvelle priorité des Etats-Unis dans le Moyen-Orient, à voir la démocratisation des pays arabes, semble avoir perturbé la stratégie d'Al Qaîda: «Les Etats-Unis promettent mais ne font rien (...) au Vietnam aussi ils ont promis d'entraîner les troupes locales puis de partir, et il n'en fut rien (...) en fait, la seule issue qui reste à Washington c'est de quitter l'Irak et vite. Sinon, l'enfer qu'ils vont vivre leur fera oublier le Vietnam.» Bush et ses principaux collaborateurs sont accusés de «cacher la vérité de ce qui se passe en Irak», allusion faite aux hostilités et à la guérilla auxquelles font face les troupes américaines et aux pertes subies par celles-ci. Rappelant certainement que les attentats de Londres ne sont pas étrangers à Al Qaîda, il affirme que «la politique de Blair va attirer aux Britanniques plus de destructions encore». Puis il rappelle que «l'offre de paix de Ben Laden pour les Européens est toujours en vigueur». Oussama avait fait une offre de paix aux pays européens au début de l'année, ce que les chefs d'Etat européens avait vite rejeté, refusant tout compromis avec Al Qaîda. L'offre de paix avait été formulée au lendemain des attentats de Madrid du 11/3 et Ben Laden semblait connaître un bon bout de ce qu'il disait et prévoyait. Aujourd'hui, à la lumière des nouveaux attentats de Londres du 7/7, on peut avancer que les similitudes entre les attentats de Madrid et de Londres ont été programmées et planifiées par les mêmes responsables. D'ailleurs, des chefs de la police scientifique et antiterroriste madrilène viennent d'arriver à Londres afin d'aider, par leur expérience Scotland Yard. Ayman Al Zawahiri accuse les Etats-Unis de «voler le pétrole national irakien» et menace Washington de cesser, sous le couvert de leur guerre contre le terrorisme, de piller les richesses irakiennes et de prêter main forte aux régimes arabes corrompus. Ni Moubarak, principal allié des Etats-Unis dans le monde arabe, ni Mohamed Abbès, qui fait concession sur concession à Israël, ni encore moins Mousharaf, qui se plie aux exigences américaines, ne sont épargnés par la critique menaçante d'Al Zawahiri. Les combattants palestiniens sont principalement exhortés de ne pas faire le jeu politique israélo-américain et de rester en dehors de toute compromission politique qui les amènerait à déposer les armes. Ces nouvelles menaces du n°2 d'Al Qaîda interviennent au moment où l'Europe et les Etats-Unis traversent une période de doute quant à leur capacité à venir à bout des ramifications actives de l'organisation d'Oussama Ben Laden. Les attentats de Londres ont profondément choqué les Britanniques, et, au moment même où Scotland Yard et le MI5 tentaient de raffermir les liens qui les rapprochaient, des islamistes les plus actifs et les plus proches d'Al Qaîda - Saoudiens, Yéménites, Algériens, Marocains, Pakistanais, etc - ce sont des Somaliens et des Ethiopiens qui ont frappé au coeur de Londres - et avec quelle facilité! - se permettant même la fantaisie de refaire, quelques jours plus tard, le même coup, les mêmes attentats en miniature, en format réduit, pour en rajouter à l'impuissance de Scotland Yard. Le coup de semonce a été ressenti à travers toute l'Europe, qui avait rejeté en bloc l'offre de paix d'Oussama Ben Laden proposée il y a près d'un an. En contrepartie d'un retrait total de l'Irak et de la fin de toute hostilité contre les musulmans, Oussama Ben Laden proposait à l'Europe de la laisser en paix. C'était il y a presque une année. Aujourd'hui, les donnes ont changé et la Grande-Bretagne tout comme l'Italie sont en train de plier bagage et de faire revenir leurs troupes chez elles, au plus tard avant la mi-2006. Avec vingt huit marines et un journaliste tués en quarante huit heures, Bush a de quoi se faire du souci jusqu'à la fin de son mandat. Le peuple américain avait, certes, consenti à soutenir un effort de guerre supplémentaire, mais ne consentira jamais à entendre de nouveau que ses marines se fassent assassiner de la sorte. Bush, dans son discours de mercredi, refuse de plier face à la guérilla, mais tout le monde aura compris qu'il est en train de rechercher la manière la moins coûteuse et la plus intelligente de quitter l'Irak. Enfin, quitter l'Irak, mais sans la quitter réellement: la nouvelle stratégie militaire américaine dans la région veut que ce soient les armées locales qui seront, désormais, chargées de sécuriser, c'est-à-dire d'être directement confrontées aux insurgés. Cela peut faire épargner des vies aux troupes américaines, mais ne fera pas changer les choses de la manière que recherche Washington. Et il semble bien que le n°2 d'Al Qaîda ait donné lui-même la solution à Bush. C'est uniquement une vraie ouverture démocratique qui puisse mettre en échec Al Qaîda, car cette nouvelle voie politique, vécue et ressentie concrètement par les peuples, présentera l'alternative cohérente et crédible à la fois, qu'il existe un espace d'expression autre que ceux proposés par l'hyper-hégémonisme américain et le radicalisme millénariste d'Al Qaîda. Mais là encore, le dilemme est cruel, car il faudrait pour Washington commencer par bousculer des alliés comme l'Egypte, la Jordanie, l'Arabie Saoudite, etc, et là encore les enjeux seront complexes.