L'affaire sera instruite sur plusieurs semaines avant de passer devant le tribunal. L'ancien n°2 du FIS, Ali Benhadj, 49 ans, a été auditionné, hier, par le juge d'instruction du tribunal d'Hussein-Dey, avant de décider de son retour à la prison d'El Harrach, où il est détenu depuis le 27 juillet dernier selon des sources judiciaires, Ali Benhadj «repassera devant le juge dans quelques jours», quant à son frère Abdelhamid, mis en liberté conditionnelle, il devra «pointer chez la police pour signer le PV de présence chaque semaine». Pour les quelques sympathisants qui ont fait le déplacement jusqu'au tribunal, situé à 200 mètres de l'hôpital Parnet, c'était la déception qui se lisait sur leur visage. Pour les plus au fait du dossier, c'était prévisible et l'affaire sera introduite sur plusieurs semaines et plusieurs instructions avant de passer devant ce tribunal. Le maillage policier établi aux alentours du tribunal dès le matin du passage de Benhadj devant le juge, laissait présager que le personnage était «hors normes», et les policiers, en tenue ou en civil contrôlaient les accès et les halls, filtrant un à un les va-et-vient des gens. Interdit de filmer, de prendre des photos, de poser des questions et de s'attarder. Pourtant, l'instruction se passait, autant pour Ali Benhadj que pour son frère Abdelhamid, à huis clos. Benhadj devait répondre de trois chefs d'inculpation : apologie de crimes terroristes, incitation au meurtre et publication d'écrits faisant l'apologie du terrorisme. Ces accusations formulées en vertu des articles 41, 87 bis et 5 du code pénal, ont valu à Benhadj sa mise sous mandat de dépôt par le magistrat instructeur près le tribunal d'Hussein Dey. La mise en accusation de Ali Benhadj est intervenue dans un contexte très particulier. C'était le dernier jour de la vie des deux otages algériens enlevés par un groupe armé irakien qui s'est défini comme étant le groupe d'Abou Mossaâb Al Zarkaoui. Une sentence de mise à mort avait été prononcée contre eux et les autorités algériennes étaient engagées dans une véritable course contre la montre pour les sauver. Sept jours après leur rapt, la chaîne satellitaire arabe, Al Jazeera fait parler Ali Benhadj, considéré comme un des islamistes radicaux les plus en vue de la mouvance salafite. Celui-ci déclare: «En accréditant des ambassades et des diplomates dans un pays sous occupation, leur Etat ne fait que légitimer cette occupation, ce qui est inacceptable aux plans de la charia et de la politique». Les preneurs d'otages de la résistance sont salués comme des «moudjahidine sur le sol de la résistance en Irak, que Dieu les aide à faire face, avec fermeté et détermination, à l'occupant spoliateur, à ses agents et à ses acolytes (...) d'autant que l'histoire vous a appris que le djihad et la résistance sont la seule réponse à l'occupation». Pour son malheur, les otages sont exécutés au même moment. Les Algériens sont complètement choqués et abattus par cet « acte de guerre ». Immédiatement et suite à ses déclarations, Ali Benhadj est placé en détention provisoire, et la perquisition faite en son domicile et en celui de son frère permet, selon un magistrat instructeur, de trouver des documents en relation avec ces déclarations. Abdelhamid est aussi placé sous contrôle judiciaire pour «publications d'écrits faisant l'apologie du terrorisme», selon les propres termes de la notification du tribunal d'Hussein Dey. Le collectif des avocats de Ali Benhadj, constitué pour le moment de Me Zouita et Lahbib Benhadj, frère de Ali, a considéré, hier que les propos de Ali Benhadj ont été sortis de leur contexte, et de ce fait, totalement déformés, et que la principale phrase dite par Ali Benhadj lors du bref passage à l'antenne d'Al Jazeera, à savoir, «j'émets une demande - concernant la libération des otages - et j'espère qu'elle sera prise en compte», a été délibérément et complètement occultée. Pour étayer cette issue salutaire pour leur mandant, ils mettent en avant «l'enregistrement du passage du cheikh sur Al Jazeera, et qui est entre les mains de tous». Les deux avocats prennent aussi en charge toutes les communications concernant Ali Benhadj pour permettre à Abdelhamid d'éviter tout nouveau contact avec la presse, car depuis la sortie de prison de Blida de Ali Benhadj, le 1er juillet 2003, c'était Abdelhamid qui s'occupait des communications de son frère et faisait office de «chargé de presse» officieux. L'intérêt que suscitent aujourd'hui les nouvelles accusations portées contre Ali Benhadj cristallise en fait tout le débat qui s'articule autour de la réconciliation nationale et l'amnistie générale. Certains sont foncièrement contre et forment un bloc minoritaire certes mais assez influent pour faire pièce à la poussée des réconciliateurs. Pour les analystes les plus avisés, l'intervention de Benhadj est venue comme un «cheveu sur la soupe» pendant que tous les Algériens avaient le coeur accroché à la décision des preneurs d'otages d'exécuter ou de libérer les deux diplomates, puis son incarcération est venue encore s'insinuer dans la vie politique comme un autre événement aussi regrettable qu'inattendu au moment où le débat sur la réconciliation nationale et l'amnistie générale -qui concerne principalement les islamistes- entame sa dernière ligne droite.