L'armée turque déploie les grands moyens contre les Kurdes d'Afrine «Vous avez essayé de nous rouler», a-t-il ainsi accusé. «Nous avons voulu vous acheter des armes, vous n'avez pas voulu. Mais vous avez donné des armes et des munitions gratuitement aux terroristes. Quel genre de partenariat est-ce là?» s'est-il étranglé. En pleine controverse sur les dommages collatéraux de l'offensive turque contre les Kurdes des YPG à Afrine où plus de 200.000 civils ont pris le chemin de l'exil, dans des conditions souvent dramatiques, le président turc Recep Tayyip Erdogan a vivement rejeté hier les critiques des Etats-Unis sur l'opération d'Ankara contre la milice kurde, dans le nord-ouest de la Syrie. Erdogan, très irrité, a carrément sommé les Etats-Unis de «respecter» la Turquie qui n'a de cesse de clamer qu'elle agit en état de légitime défense contre une «menace terroriste». Sa déclaration survient après que le département d'Etat américain ait fait part, lundi dernier, de sa «profonde préoccupation» quant au sort des civils à Afrine, un des bastions en Syrie de la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG) dont les forces d'Ankara, secondées par les éléments de l'Armée syrienne libre, une milice rebelle soutenue par la Turquie, sont parvenues à s'emparer dimanche dernier. «Où étiez-vous lorsque nous vous avons fait part de nos préoccupations à nous, lorsque nous vous avons proposé d'éliminer les terroristes ensemble?», a répliqué Erdogan lors d'un discours à Ankara. «Si nous sommes votre partenaire stratégique, alors vous devez nous respecter, vous devez marcher à nos côtés», a aussi crié le chef de l'Etat turc avant de poursuivre d'un ton rageur: «D'un côté, vous dites que la Turquie est votre partenaire stratégique et, de l'autre, vous collaborez avec les terroristes.» «Vous avez essayé de nous rouler», a-t-il même accusé. «Nous avons voulu vous acheter des armes, vous n'avez pas voulu. Mais vous avez donné des armes et des munitions gratuitement aux terroristes. Quel genre de partenariat est-ce là?», s'est-il étranglé. Cette envolée du dirigeant turc intervient au moment où la tension générée entre Ankara et Washington par l'offensive sur Afrine a atteint un seuil critique même si les deux alliés au sein de l'Otan ont paru, lors de la visite en Turquie du secrétaire d'Etat Rex Tillerson, une semaine avant son limogeage par le président Donald Trump, calmer les esprits faute d'une réelle réconciliation. On s'en souvient, les deux pays se sont engagés à se concerter sur tous les enjeux et tous les initiatives en Syrie, mais il semble bien que ces belles résolutions soient vite devenues lettre morte. Et pour cause! Ankara ne cache guère son intention, voire sa détermination à poursuivre l'offensive contre les Forces démocratiques syriennes (FDS) dont les YPG font partie du côté de Minbej, plus au nord-ouest, ville dans laquelle sont cantonnés des marines américains que Washington a refusé de retirer malgré des appels répétés de leur allié turc. Du coup, les tensions vont aller crescendo et il n'est pas à exclure que les divergences entre les deux pays membres de l'Otan ne deviennent insurmontables, le Pentagone poursuivant l'encadrement et l'armement lourd des Kurdes de Minbej qui ont contribué à la lutte contre Daesh aux côtés de la coalition internationale et principalement des Etats-Unis. Lundi dernier, encore, le président Erdogan a annoncé que l'opération Bouclier de l'Euphrate va se poursuivre et sera élargie à d'autres villes et régions de Syrie pour en «chasser», en fait il s'agit de les éliminer, les Kurdes et parmi les objectifs non révélés figure clairement le fief de Minbej, auquel cas l'affrontement avec les forces américaines (des centaines d'officiers et de marines) présentes à cet endroit sera inéluctable. Cet ex- bastion de Daesh présente ainsi toutes les chances de devenir la nouvelle grande poudrière de la Syrie. Située à une trentaine de km de la frontière turco-syrienne, Minbej qui relève de la province d'Alep, est une ville stratégique qui, avant 2011, comptait plus de 120 000 habitants dont une large majorité d'Arabes sunnites, un quart de Kurdes et une minorité de Turkmènes. Les groupes rebelles s'en étaient emparés en 2012 avant qu'elle ne tombe, deux ans plus tard, sous la coupe de Daesh. Depuis 2016, les FDS appuyés par les Etats-Unis y ont instauré une autonomie de fait, laissant présager l'avènement d'une entité kurde dont Ankara ne veut en aucun cas entendre parler. Un an plus tôt, en mars 2017, Washington y a renforcé sa présence en armes et en hommes, déclenchant la fureur du président turc qui a réagi, au début du mois de janvier 2018, en déclarant: «Les dirigeants américains nous ont dit 'Nous ne resterons pas à Minbej''. Alors pourquoi vous restez? Allez, partez!». L'ambition des FDS d'étendre leur présence vers l'ouest de la Syrie a provoqué la réaction militaire de la Turquie, Erdogan promettant d'étendre l'opération «jusqu'à la destruction totale du corridor constitué de Minbej, Aïn al-Arab (nom arabe de Kobané), Tal Abyad, Ras al-Aïn et Qamichli», dans le nord syrien. On est donc loin de l'accord américano-turc conclu avec Rex Tillerson, en février dernier, sur un «travail commun», selon un mécanisme concerté, pour éviter le pire. Et le pire est écrit, faute de concessions de l'une ou l'autre partie avant que les combats ne commencent bientôt.