Le paradoxe entre les chiffres avancés par la direction de l'agriculture relatifs à la production laitière locale et la rareté du produit mérite une enquête approfondie. Lors de sa visite à Bouira, le ministre de l'Agriculture, du Développement rural et de la Pêche annonçait avec conviction une fin proche de la crise du lait. Il a fixé le mois de Ramadhan où la consommation est plus importante comme échéance. Depuis et malgré les mesures coercitives prises à l'encontre de certaines laiteries, le lait se fait de plus en plus rare à Bouira. Depuis un mois, le liquide vital a disparu des étals, il s'agit particulièrement du lait en sachet à 25 DA. Même si du côté des producteurs, on persiste à parler d'une production suffisante, le citoyen continue à «quémander» pour acheter un litre de lait. Quotidiennement, les clients guettent l'arrivée d'un camion pour se ruer sur le magasin. Quand il est disponible, le lait en sachet, subventionné, est vendu en concomitance avec l'obligation de prendre pour chaque paire de sachets, un litre de lait de vache, du lait caillé ou fermenté à 50 ou 60 DA. Interpellé sur ce sujet, à propos de la vente concomitante qui est réglementairement interdite, les responsables du commerce ont, une nouvelle fois renvoyé la balle dans le camp du client qui se laisse faire. Le paradoxe entre les chiffres avancés par la direction de l'agriculture relatifs à la production laitière locale et la rareté du produit nécessite une enquête approfondie. La raison essentielle selon les plus initiés, reste le dysfonctionnement dans les circuits de distribution et de commercialisation. Le lait quand il sort des laiteries emprunte des circuits frauduleux qui ne bénéficient qu'aux producteurs, aux distributeurs et aux commerçants. Plusieurs épiciers, par exemple, préfèrent réserver leurs quotas aux cafetiers, moyennant une ristourne avoisinant les 5 DA par litre, car au niveau de son épicerie, lorsqu'il est vendu à l'unité, ce commerçant perçoit moins de 1 DA sur le sachet. Le bénéfice net sur le lait de vache est de l'ordre de 12 DA le litre puisqu'au marché du gros, il est vendu 38 DA au commerçant. Cette marge bénéficiaire a poussé tout ce beau monde à proposer le sachet à 50 DA et éviter celui de 25 DA où le risque de perdre de l'argent est plus apparent. «Quand un sachet est détruit lors des chargements et des déchargements, il est comptabilisé et facturé à nos dépens. Quand j'ai une cinquantaine de sachets détériorés, c'est le capital de la journée qui en est affecté», nous confie un livreur détaillant. «Les cafetiers prennent tout à la fois. Ils écartent le risque au commerçant de voir son lait reconstitué se détériorer surtout en période estivale. Le bénéfice est garanti, nous confie un citoyen. La solution à cette crise passe par la révision de la marge bénéficiaire sur le lait subventionné octroyée aux détaillants. Les services du commerce qui assistent passivement à des pratiques frauduleuses devraient s'impliquer davantage en contrôlant les circuits depuis l'usine jusqu'au détaillant du coin. Les déclarations d'un ministre ne peuvent à elles seules régler un système huilé où tout le monde trouve son compte aux dépens de l'humble citoyen qui ne peut se payer un litre de lait à 50 DA. Le petit peuple qui s'est privé depuis longtemps des dérivés du lait: fromages, yaourts, etc risque d'ici peu de temps de décréter une autre austérité en bannissant de son vécu le lait.L'Etat qui débourse des sommes colossales pour subventionner ce produit doit mettre en branle ses services pour remettre de l'ordre dans une filière infiltrée par les intermédiaires, les charognards. La crédibilité de tout un Etat est engagée. En 2018, dans un pays qui aura dépensé un millier de milliards de dollars, le simple citoyen algérien est réduit à se soucier pour un litre de lait.