L'islam a légitimement droit de cité au sein de la société française J'ai remis à mon éditrice, il y a de cela quelques semaines, un manuscrit portant pour titre «Musiciens juifs constantinois». L'appel parisien stigmatisant l'islam et les musulmans m'a conduit à lui faire parvenir ce post-scriptum. Un «nouvel antisémitisme», référé aux musulmans et in fine à l'islam, une «épuration ethnique à bas bruit» qui en serait l'une des conséquences alimentée par «les crimes antisémites» saturant les unes des médias et des plateaux des chaînes d'information, c'est le paysage français surprenant que dessine l'appel publié par le quotidien Le Parisien qui, l'expérience récente l'aura, une fois de plus, démontré, vivra ce qu'avait vécu «On est tous Charlie». Cette mise en cause frontale de l'islam et des musulmans en France n'est pas pour surprendre qui s'inscrit aussi en droite ligne des thèses défendues par l'extrême droite sur une pseudo doctrine du «remplacement», popularisée notamment par ceux qui occultent délibérément qu'en Algérie ce fut une politique d'Etat du pouvoir colonial, adossée à la fois à une tentative d'éradication ethnocidaire des populations algériennes et à une importation massive de migrants européens. Les philosémites d'aujourd'hui devraient aussi s'interroger, à raison, sur ce que la puissance coloniale attendait des missions de rabbins ashkénazes chargés de «désarabiser le judaïsme algérien» avant que le décret Crémieux ne soit appelé à fracturer la communauté algérienne. En aucune manière et sous aucune forme l'islam et les musulmans n'ont envahi ni occupé la France et c'est pour le moins inattendu que l'on doive le rappeler à partir d'un territoire et d'une culture ayant été effectivement occupés et soumis y compris à de vaines tentatives d'évangélisation. 1- Une sanction des politiques impériales L'une des sanctions pérennes des politiques impériales françaises aura été la présence sur le territoire métropolitain de millions de personnes originaires des anciennes colonies et il est utile de rappeler ce que cette présence doit aux guerres menées par la France - particulièrement lors des deux conflits mondiaux - et/ou aux politiques de reconstruction du tissu économique français comme ce fut notamment le cas des Algériens mobilisés contre leur gré au nom de la loi de 1912 sur la conscription et requis dès le début des années 1920 comme main-d'oeuvre sur les chantiers industriels. Et ils étaient musulmans et ils le sont, pour l'essentiel demeurés et s'il y eut, en France, un racisme non pas à «bas bruit» mais déclaré et assumé, ils en furent longtemps les principales victimes. Et le «faciès» avait été une commode appellation d'une islamophobie sans doute rampante, mais tout à fait active. Le «transfert de mémoire» analysé par Benjamin Stora souligne de manière pertinente les effets de long cours de la colonisation et de la guerre d'indépendance algérienne sur les représentations et les conduites d'une partie au moins de l'opinion française. Les Algériens fournissent-ils ainsi une part notable de la communauté musulmane de France et on peut être en droit de s'interroger sur leurs rapports aux juifs algériens et plus précisément sur l'enracinement d'un antisémitisme dans leur culture ou pratiques religieuses. Il est donc légitime de se poser la question de savoir ce que fut l'antisémitisme en Algérie. Interrogé sur le sujet, dans le cadre d'une émission de «France Culture» consacrée aux trajectoires dissidentes de juifs algériens ayant rejoint le FLN, l'historien Mohamed Harbi évoque, pour la communauté musulmane algérienne surtout, «un antisémitisme culturel, d'essence religieuse» dont il faut comprendre qu'il le distingue des expressions antisémites agissantes dans la société algérienne. 2 - Ce que fut l'antisémitisme en Algérie En Algérie et sur tout le long cours de la colonisation, on disait «arabe» et c'était le générique admis par une communauté européenne - majoritairement catholique - qui savait dresser avec vigueur et constance les potences pour y pendre «le juif». Il importe de le rappeler avec force aux trafiquants de mémoire de la vingt-cinquième heure qui sévissent impunément dans les médias et la classe politique français. L'édile d'Oran, l'abbé Lambert, Max Régis, porte-parole adulé de l'antisémitisme à Alger, Emile Morinaud, le maire aux cinq mandats de Constantine, constamment plébiscité sur un programme violemment antisémite, avaient été les figures reconnues de cet antisémitisme «sudiste», sans complexe, qui s'offrait même des organes aux titres d'une brutale clarté comme L'antijuif publié à Constantine, Bône et Guelma. Oui mais et Constantine en août 1934? Soit, comme il convient il faut revenir aux faits, aux archives. Le texte de référence qui allait justifier l'emploi - à tous égards-abusif de la notion pogrome tout à fait étrangère au catholicisme romain dominant en Algérie - est l'article de l'envoyé spécial du journal Le Populaire, organe central de la SFIO, Parti socialiste français et acteur majeur de la vie politique française. Sous réserve d'inventaire, aucune publication française ne cite l'article de Cheikh Abdelhamid Benbadis, président de l'association des Oulémas musulmans algériens, dans son journal Echiheb dans lequel il revient sur les faits, sur les représentations qu'il avait faites, avec le docteur Mohamed-Salah Bendjelloul, président de la Fédération des élus indigènes, aux autorités françaises et sur leur appel commun au calme en direction d'une communauté musulmane encore sous le choc des provocations et de la passivité des autorités. Et s'il y eut des victimes, assurément innocentes, ces 4 et 5 août 1934 à Constantine, elles ne furent pas exclusivement juives comme en attestent les témoignages et les registres de l'état -civil de la commune. Les Européens d'Algérie furent farouchement maréchalistes lors du second conflit mondial et approuvèrent sans réserve l'abrogation du décret Crémieux au moment où Messali Hadj, alors détenu, appelait au soutien des alliés et condamnait l'entreprise de quelques militants nationalistes du Carna (Comité algérien pour la révolution nationale algérienne) de rapprochement avec les services allemands et les puissance de l'Axe. Il sera en tout cas difficile de valider la thèse de racines algériennes d'un antisémitisme «musulman» de France qui pourrait alors se couvrir de l'entreprise politico-militaire islamiste dont il peut paraître paradoxal de rappeler que la société algérienne en fut la première, et longtemps, la principale victime. 3 - Le soutien à l'islamisme armé Il est sans doute cruel de souligner à l'intention des experts - y compris les inévitables «arabes de service» - qui polluent aujourd'hui l'espace politique et médiatique français, l'accueil, quand ce n'était pas le clair soutien de La France notamment et d'autres pays européens à l'insurrection islamiste des années 1990. Jusqu'à ce jour, aucun pays n'aura payé le tribut algérien à l'islamisme terroriste, intégriste - déjà soutenu et financé, entre autres, par l'Arabie saoudite - dont les victimes furent d'abord et surtout musulmanes. Sémites, faut-il le dire. Comment alors soutenir que l'antisémitisme ne vise exclusivement que la communauté juive, comment occulter la question lancinante de savoir si un antisémitisme n'en cache pas un autre? Est-ce alors les rapports de l'Etat français, de ses institutions, qu'il faut interpeller tant sur ses investissements dans l'islamisme algérien que, plus tard, dans les entreprises néocoloniales au Maghreb et au Moyen-Orient. La convocation, cynique et criminelle d'un «djihadisme» que l'on prétend pourfendre dans les banlieues abandonnées, stigmatisées des villes françaises et que l'on finance et soutient en Syrie et ailleurs est sans doute au coeur des dérives racistes, de l'instrumentalisation de l'islam que connaît la société française et des fuites en avant commodes de pseudo- élites stipendiées. La France vend de l'armement à l'Arabie saoudite et à d'autres monarchies. Cela est de notoriété publique, cela interdit d'interpeller les pouvoirs publics français et encore moins l'expansion - par ailleurs récemment reconnue par le prince héritier saoudien - du salafisme au bénéfice des intérêts américains et occidentaux. Mais aujourd'hui l'Arabie saoudite est un soutien quasi déclaré à l'Etat d'Israël. Et les bonnes consciences du dimanche ne l'ignorent pas. Précisément, il y a la question palestinienne et forcément celle du sionisme lequel n'est pas une religion, mais une idéologie discutable comme toute autre et l'amalgame imposé entre antisémitisme et antisionisme ne trompera que ceux qui veulent bien être trompés. Soutenir la cause palestinienne en France est-ce être antisémite? L'ennemi c'est l'islam. Longtemps ce fut le judaïsme et les juifs. Suffit-il, fut-ce dans une conjoncture qui se nourrit de confusions, de stigmatiser les musulmans pour absoudre la France de son passé vichyste antisémite, militant et criminel? Faut-il, comme prix de l'expiation, agréer une organisation communautaire - le CRIF - comme porte-parole d'un état étranger, Israël, et menacer d'interdit toute critique des politiques de son régime? Les élites françaises - cette qualification peut être abusive, mais prenons acte de ce que la France a les élites qu'elle mérite - devraient assurément balayer d'abord devant leurs portes et c'est peu dire que la mule est lourde. L'islam a légitimement droit de cité au sein de la société française, affichant ses valeurs civilisationnelles, adossé à ses socles pérennes qui avaient, en son temps, autorisé l'association des Oulémas musulmans algériens à exiger des pouvoirs publics français le strict respect des principes de laïcité consignés dans la loi de 1905. La modeste contribution sur «Les musiciens juifs constantinois» avait explicitement pour objet de rappeler qu'il n'était pas possible d'ignorer ou d'ostraciser les artistes juifs algériens dans l'écriture de notre histoire culturelle et plus largement l'ensemble des acteurs de notre histoire de manière plus générale. C'est cette démarche qui informe ce post-scriptum inopiné.