Une manifestation dans le Rif en juin 2017 Du hirak du Rif à la campagne de boycott de certains produits, le Palais royal est incapable de répondre aux revendications populaires. Ces dernières semaines, l'establishment marocain fait feu de tout bois et semble avoir trouvé les coupables parfaits à présenter à une opinion publique dont les préoccupations sont loin d'être celles et de celles du Palais royal. Ce dernier qui détient tous les pouvoirs décisionnels fait face à une protesta sociale sans précédent et ce depuis l'automne dernier, lorsque la dynamique du Rif a mis à nu l'incapacité du gouvernement de Benkirane à mettre en oeuvre un programme de développement économique et social des régions défavorisées du royaume. Si le mouvement dirigé par Ezafzafi donne l'impression de s'essouffler, il prend une autre forme avec la campagne de boycott de certains produits dont les prix sont jugés prohibitifs par des populations excédées et écrasées par une situation sociale et économique intenable. Cette campagne qui touche directement des intérêts financiers importants d'opérateurs économiques proches des cercles décisionnels du pouvoir marocain, se poursuit, s'amplifie et inquiète sérieusement le Makhzen d'autant plus qu'elle prend des contours de protestation politique remettant en cause tout le système. C'est à ce titre que les Marocains ont compris à travers cette campagne que «le peuple n'est représenté par aucune institution» et que «le gouvernement, les partis et les syndicats ne représentent que le patronat qui détient les rennes de l'économie du Maroc» lit-on sur le site Maroc Leaks. Pour ce journal électronique, «le chef du gouvernement est plus préoccupé par le sort des agriculteurs touchés par le boycott que par les 35 millions d'habitants du pays pénalisés par des prix exorbitants». Quant à l'opposition et aux syndicats, ils sont «aux abonnés absents. Motus et bouche cousue devant une initiative populaire qui risque de secouer le palais et sa mafia qui gère les affaires quotidiennes du pays au nom des intérêts de l'oligarchie et le monopole.» Le journal estime qu'«au lieu de baisser les prix en vue de soulager l'existence du peuple marocain, les nervis de Mohammed VI cherchent un coupable à accuser d'être derrière la campagne de boycott». Le Makhzen marocain cherche désespérément des coupables extérieurs auxquels sont liés des coupables intérieurs pour cette union sacrée des Marocains que cherche le Palais royal chaque fois qu'il est montré du doigt et accusé des maux sociaux et économiques chroniques dont souffrent les Marocains et qui freinent son développement et son bien-être. Les autorités marocaines sont tellement aux abois qu'elles pensent que le fait de jeter l'Algérie, l'Iran, Hizbollah et le Front Polisario aux gémonies en les accusant de menacer «l'intégrité territoriale du royaume» allait mettre fin à cette dynamique populaire qui dénonce la convergence d'intérêts de l'oligarchie avec ceux du Makhzen. Des observateurs marocains estiment pourtant que cette campagne de boycott «prend une tournure politique».Face aux réactions méprisantes de certains membres du gouvernement, comme ce fut le cas pendant le Hirak du Rif et la protesta des populations de Djerada, la campagne de boycott se poursuit et s'étend à tout le pays et à d'autres produits. En fait, depuis octobre 2016, date du décès tragique de Mohcine Fikri, broyé dans une benne à ordures à El-Hoceïma, dans le Rif, la dynamique protestataire ne s'est pas arrêtée. Après le Rif, c'est la région de Jerada qui est secouée par des manifestations pacifiques pour demander des «alternatives économiques» à la seule activité locale, l'extraction de charbon dans les «mines de la mort». Ce mouvement de protestation populaire fait suite au décès de deux mineurs dans un puits début février 2018. La répression a été la seule réponse du gouvernement qui redoutait une contagion. Après des arrestations, une grève générale a été observée par les populations de Jerada dans l'est du Maroc. Le journaliste indépendant marocain, Réda Zaireg écrit dans le site Orient XXI: «D'octobre 2016 à mai 2017, le palais a fait preuve d'une étonnante passivité. Confronté à un mouvement social d'ampleur inédite depuis 2011 et qui l'interpellait de plus en plus directement, Mohammed VI a choisi la voie du silence. D'infructueuses tentatives de négociation ont été menées par des représentants de l'Etat au niveau local, mais faute d'avoir répondu aux revendications du Hirak, elles n'ont pu éteindre la contestation.» Face à cet éveil des masses écrasées, le Palais royal n'a que deux réponses pour faire taire la contestation sociale: la répression impitoyable et l'épouvantail de la menace étrangère. C'est ainsi que le Makhzen et ses relais médiatiques et propagandistes, ont trouvé la parade après la perche tendue par l'Arabie saoudite qui a déjà gagné le soutien de Rabat dans ses guerres en Syrie, au Yémen et contre l'Iran. La rupture des relations diplomatique avec Téhéran était un prétexte qui tombe à pic pour impliquer l'Algérie et le Polisario dans un «complot extérieur visant à déstabiliser le royaume.» L'objectif de cette fuite en avant manifeste est d'une part, détourner l'attention des populations de leurs préoccupations sociales et économiques qui risquent de remettre en cause un système politique désuet et d'autre part, faire oublier aux mêmes populations le rapprochement en catimini du régime marocain d'Israël alors que des relations commerciales importantes existent déjà entre les deux pays depuis longtemps, notamment dans le domaine militaire et sécuritaire. Les derniers développements sur la scène moyen-orientale, notamment la situation en Palestine occupée, risque en effet de nourrir la colère des populations marocaines pour qui le soutien à la cause palestinienne est une ligne rouge.