Les deux protagonistes ont des ambitions pour 2019 La sortie de Chahed est suffisamment rare et tonitruante pour ne pas laisser des traces car, passant outre son calme habituel et sa réserve maintes fois louée, il a, ni plus ni moins, accusé Hafedh Caïd Essebsi d'avoir sabordé Nidaa Tounès, résultats électoraux à l'appui. Faites vos jeux, rien ne va plus! En Tunisie, trois semaines après le début de son procès auprès de l'opinion publique puis de sa contestation dans sa propre famille politique, le Premier ministre Youssef Chahed est monté, hier, au créneau pour à la fois défendre son bilan et stigmatiser ses détracteurs, emmenés par Hafedh Caïd Essebsi. Soulignant que sa gestion a permis au taux de croissance de dépasser les 2,5% au premier trimestre, il a déclaré dans un discours à la télévision: «Notre gouvernement a rempli ses obligations en matière de stabilité, sécurité, lutte contre le terrorisme et relance du tourisme.» En témoignent, a-t-il relevé, les indicateurs certes timides mais prometteurs de la croissance, après des années de marasme économique et social, du notamment à la crise du tourisme. Pour lui, l'année 2018 verra la Tunisie atteindre les 3% à condition que les contestataires ne viennent pas saper les efforts du gouvernement. Youssef Chahed a volontiers admis l'échec de son équipe gouvernementale dans certains domaines, faisant référence à la chute du dinar, entre autres et il s'est engagé à poursuivre l'action de réforme des caisses sociales ainsi que des entreprises publiques, souvent déficitaires. «Notre pays a besoin de consensus politique», a-t-il ainsi réclamé dans un pays où la fièvre monte de plus en plus avec l'approche des élections législatives et présidentielle en 2019. Youssef Chahed, 42 ans, issu du parti Nidaa Tounès fondé par le président Béji Caïd Essebsi et dirigé, depuis 2017, par le fils de celui-ci, Hafedh Caïd Essebsi, a été nommé en août 2016 à la tête d'un gouvernement d'union nationale. Il est également soutenu par le parti islamiste Ennahdha, partenaire de la coalition gouvernementale. Mais voilà que, ces derniers mois, aussi bien la puissante centrale syndicale Ugtt que le numéro un de Nidaa Tounès, Hafedh Caïd Essebsi, réclament son départ, arguant des difficultés économiques du pays et d'un échec patent du gouvernement à transcender la crise. Hier, le Premier ministre est sorti de sa réserve et ses propos ont été pour le moins violents. «Hafedh Caïd Essebsi a détruit le parti», a accusé M. Chahed. Or la presse tunisienne s'agitait depuis plusieurs mois au sujet des ambitions présidentielles de Hafedh Caïd Essebsi avant que Youssef Chahed ne vienne lui faire de l'ombre, profitant d'un soutien de plus en plus intéressé du parti Ennahda, la formation islamiste qui domine la scène politique tunisienne et la coalition gouvernementale initiée par Béji Caïd Essebsi. La sortie de Chahed est suffisamment rare et tonitruante pour ne pas laisser des traces car, passant outre son calme habituel et sa réserve maintes fois louée, il a ni plus ni moins accusé Hafedh Caïd Essebsi d'avoir sabordé Nidaa Tounès, résultats électoraux à l'appui. Selon lui, le fils héritier a mené Nidaa Tounès d'échec en échec, comme lors des récentes municipales, et le parti a perdu ainsi 1 million de voix. Chahed ne s'en tient pas là, il énumère également le départ de nombreux cadres, ulcérés par la main mise de Hafedh Caïd Essebsi et les dysfonctionnements qu'il impose à tel point que, pour le Premier ministre, «Nidaa Tounès n'est plus le parti auquel il avait adhéré»! Ce grand déballage à la télévision et cette cascade de critiques, plus ou moins violentes, seraient dus à une volonté de saisine de l'opinion publique tunisienne qui a le droit de savoir ce qui se passe exactement dans la maison Essebsi. Car les problèmes de Nidaa Tounès ont fini par «déborder» sur le fonctionnement du gouvernement et c'est ce qui a conduit à une rupture consommée entre des dirigeants qui appartiennent pourtant à la même famille sans être certes du même bord. Sans doute, les observateurs n'ont pas tort qui voient dans cette sortie fracassante de Youssef Chahed la suite logique des réquisitoires prononcés contre lui par Hafedh Caïd Essebsi tout au long des pourparlers sur le Document de Carthage II au cours desquels il n'a pas cessé de réclamer le départ de l'actuel chef de gouvernement. Le directeur exécutif de Nidaa Tounès a dressé un tableau catastrophique de la gestion gouvernementale et pris à partie Youssef Chahed, incapable selon lui d'avoir une vision et un esprit de réformes pour sortir le pays de la crise endémique. Dans sa diatribe croissante, il est même allé jusqu'à exiger des ministres de Nidaa Tounès qu'ils et elles démissionnent pour laisser Youssef Chahed seul face au peloton d'exécution. C'était le coup de trop et de là vient la colère noire du Premier ministre qui a saisi l'opportunité de la suspension sine die du Document de Carthage 2 par le chef de l'Etat, faute d'accord entre les signataires du pacte sur la fin de fonction de Chahed refusée par Ennahda, pour prendre à témoin le peuple tunisien tout entier. Cette suspension du pacte a remis les compteurs à zéro et constitue un véritable camouflet pour Hafedh Caïd Essebsi obnubilé par la question du départ de Youssef Chahed en qui il voit un rival majeur pour 2019. Elle donne à Youssef Chahed la latitude d'interpeller le Parlement devant lequel il n'aura aucun risque d'échec puisqu'il bénéficie du soutien d'Ennahda et principalement du chef de celle-ci, Rached Ghanouchi. Et Ennahda est le parti majoritaire qui considère le travail du gouvernement Chahed fructueux autant que prometteur pour la sortie de crise attendue par le peuple tunisien. Quant au sort de Nidaa tounès, gravement affaibli par les multiples défections et le recul brutal durant les dernières municipales, il ne compte plus que 56 députés au lieu des 86 élus du début de la législature. Les départs dus au manque de cohésion et au programme volatile imposé par Hafedh Caïd Essebsi peuvent s'aggraver avec ce bras de fer qui ne manquera pas de pousser au ralliement les partisans de Youssef Chahed, jusqu'à preuve du contraire président de l'instance politique de Nidaa Tounès! Si tel devait être le cas, Hafedh Caïd Essebsi sera alors dramatiquement isolé tandis que Chahed pourrait facilement rassembler autour de lui les 23 députés qui ont rejoint Machroue Tounès de Mohsen Marzouk. Une hypothèse qu'il convient de relativiser car beaucoup d'entre eux reprochent justement à Youssef Chahed d'avoir été l'artisan conscient et enthousiaste de l'ascension de Hafedh Caïd Essebsi au sein de Nidaa Tounès, quand il présidait le congrès de Sousse durant lequel ce dernier devint le directeur exécutif du parti. En outre, une large frange de Tunisiens, encartés ou pas, rejette l'alliance conjoncturelle entre Youssef Chahed et Ennahda de sorte qu'une nouvelle saignée de Nidaa Tounès n'est pas du tout à exclure...