L'Occident veut encore croire que les scoops sont du seul ressort de ses propres médias. La police espagnole vient de remettre en prison le journaliste Tayssir Allouni, correspondant de presse de la chaîne de télévision satellitaire qatariote Al Jazeera, auteur notamment du scoop mondial en obtenant en Afghanistan même un entretien exclusif avec Oussama Ben Laden, chef de l'organisation djihadiste transnationale Al Qaîda, au lendemain des attaques du 11 septembre. La date de son procès sera rapprochée à demain, lundi, après qu'elle eut été fixée une première fois au 26 septembre. selon l'avocat du journaliste, Jose-Luis Gallan, Allouni sera transféré de la prison de Grenade à celle de Madrid aujourd'hui même. L'avocat a affirmé qu'il fera appel si les accusations portées contre Allouni sont maintenues. «La Cour suprême puis la Cour constitutionnelle seront saisies de l'affaire en cas de non-libération d'Allouni», a-t-il ajouté. L'épouse du journaliste, Fatma-Zahra, reste prudente, craintive: «J'ai peur qu'il écope de neuf ans de prison, bien que les juges aient été incapables de démontrer que des liens existent entre mon mari et Al Qaîda, ou Abou Dahdah, un des cerveaux des attaques du 11 septembre, ainsi reste la seule accusation portée contre lui, à savoir sa rencontre en Afghanistan avec le chef d'Al Qaîda, Oussama Ben Laden, fin 2001.» Les milieux médiatiques arabes estiment que le procès d'Allouni est devenu politique après que le procureur de la République, Pedro Robera, eut confirmé que le travail fait par Allouni en Afghanistan et sa rencontre avec Oussama Ben Laden étaient des délits. Incarcéré, une première fois, par le juge antiterroriste, Baltazar Garcon, après avoir été longtemps soumis aux restrictions de la mise en examen, introduite par le célèbre juge madrilène sur demande du FBI, son emprisonnement a donné lieu à un très large mouvement de solidarité internationale, au bout duquel la justice espagnole a jugé «utile» de relâcher l'accusé avant son procès. Le juge Pedro Robera a jugé par la suite que le travail de Tayssir Allouni en Afghanistan, même durant la guerre, est un motif valable pour l'incarcérer avant de surprendre tout le monde en affirmant que lors de l'entretien réalisé, «Allouni paraissait en train de parler avec Oussama Ben Laden comme un subalterne parle à son chef». Les liens présumés qu'Allouni aurait eus avec le Syrien Imad-Eddine Barakat, connu sous le nom d'Abou Dahdah, n'ont jamais été établis, et Allouni avait affirmé que leur rencontre en Espagne n'était qu'une simple rencontre formelle entre deux Syriens expatriés. Au-delà de ce procès, il reste à s'interroger sur ce qui est permis aux journalistes du monde arabe et musulman et ce qui ne l'est pas. Le «scoop mondial» d'Allouni en fin 2001 avait fait jaser plus d'un, et il nous est permis de transposer le monde politique des adultes à celui puéril des enfants où la jalousie et l'envie prennent de drôles de tournure. Le journaliste américain, qui a interviewé Chamil Bassaer, le chef rebelle tchétchène avait fait grincer des dents les autorités russes, qui qualifient le chef de guerre tchétchène de « chef terroriste », mais il est rentré chez lui avec les mérites de celui qui a eu le scoop de l'année. Ce ne fut pas le cas pourtant pour Tayssir : il est musulman et Syrien. Deux charges lourdes dans le contexte actuel.