Incontestablement, El Hadj M'hamed El Anka est le maître de Matoub Lounès sur le plan musical. Dans son album de 1997, intitulé «Au nom de tous les miens», Matoub Lounès cite nommément El Anka, pour lui rendre hommage, mais pour dire aussi tout le temps passé à s'abreuver des prestations du Cardinal. C'est à partir de son album «Regard sur l'histoire d'un pays» damné (1991) que Matoub Lounès adopte définitivement le style chaâbi après avoir été tant marqué et inspiré, non seulement par El Hadj Mhamed El Anka, même s'il en demeure le plus adulé par Matoub, mais aussi Amar Ezzahi, Boudjemaâ El Ankis, Dahmane El Harrachi, El Hachemi Guerouabi sans oublier bien sûr El Hasnaoui et Cheikh Arab Bouyezgarène. Ce dernier est bien sûr moins connu que tous les premiers, mais il était vénéré par Matoub qui a repris plusieurs de ses musiques, notamment dans la chanson «Atsili lhadja rkhisseth» et l'istikhbar (prélude) fantastique non moins envoûtant de «Arwah arwah». Tout en puisant des fontaines de tous ces maîtres, Matoub Lounès gardait El Anka comme sa principale école. Etant un véritable artiste, Matoub était donc en mesure de plonger en profondeur dans toute l'oeuvre chantée d'El Anka. En parlant d'El Anka, Matoub Lounès disait de ce dernier qu'il était un océan de l'art. Il en a été tellement envoûté qu'il a repris de manière géniale et exceptionnelle la célèbre «Izriw» que Matoub Lounès a transformée en une douloureuse et déchirante chanson d'amour. Chez le regretté Amar Ezzahi, Matoub était particulièrement marqué par le génie d'improvisation dont était continuellement doté Ezzahi. Matoub l'admirait tellement qu'il est allé à sa rencontre à Bab El Oued, chez lui. Quelqu'un qui a beaucoup côtoyé Matoub et qui est par ailleurs un mordu du chaâbi, nous a confié qu'à chaque fois qu'il rencontrait Matoub, ce dernier lui demandait s'il n'avait pas un nouvel enregistrement d'une fête animée par Amar Ezzahi. Dans l'une des premières interviews accordées par Matoub après l'ouverture médiatique de 1988 à Révolution africaine, il révéla sa préférence pour El Anka, Ezzahi et El Ankis. Ce dernier, rencontré à Tizi Ouzou lors d'un hommage qui lui avait été rendu, nous a confié que Matoub lui avait envoyé deux personnes à Ath Rehouna (près d'Azeffoun) où il séjournait régulièrement, afin de le solliciter pour un duo de la chanson «Rah El Ghali rah» (Yetsgegikh wuliw, version de Matoub). El Ankis nous a également confié que Matoub avait toujours ses cassettes dans sa voiture. Le duo Matoub-El Ankis n'a pas pu être enregistré car, juste après, Matoub avait été enlevé puis, après sa libération, il a longuement séjourné en France. Si l'empreinte de ces grands maîtres du chaâbi sur Matoub Lounès n'est pas connue de tous, celle impressionnante de Slimane Azem est, en revanche, un secret de Polichinelle. Matoub voyait en Slimane Azem une locomotive de la chanson kabyle. Au summum de son art, en 1997, il n'a pas hésité à reprendre merveilleusement la musique de la chanson de Slimane Azem, «Fegh ayajrad tamurt-iw». Matoub a également chanté dans ses albums de nombreuses autres musiques composées et interprétées auparavant par Slimane Azem comme «Daghriv davarani», «Atas ay sebregh», «A mouh a mouh»... Il est toutefois évident que cette influence ne concerne que le volet musical et celui de l'interprétation. Concernant la poésie, Matoub Lounès s'inscrit dans un tout autre registre. S'agissant des textes, Matoub Lounès a ouvert une tout autre page qui contraste souvent avec les textes conservateurs chantés par la majorité de ces légendes de la chanson algérienne. Mais c'est là un tout autre sujet.