Les villageois souhaitent la bienvenue et sont eux-mêmes contents d'accueillir tout ce beau monde La quinzième édition du Festival Racont'Arts est bien partie pour être une édition particulièrement réussie. Le visiteur sent qu'il s'approche de sa destination. Les routes sinueuses de Kabylie se font plus animées, l'ambiance est plus que joyeuse. Les drapeaux qu'on accroche les jours de fête se font voir bien avant l'entrée du village. La foule se fait de plus en plus dense, la route plus encombrée. Plus de doute, le visiteur est arrivé. Un affichage électronique lui annonce qu'il est à Tiferdoud, qui, pour le temps d'une semaine, sera l'épicentre de la vie dans la région. Le village a été élu le plus propre de toute la Kabylie en 2017. Et à raison! Ceci pour le plus grand bien des personnes présentes. Le contraste avec les villes est flagrant. Les visages sont familiers bien qu'inconnus. L'ambiance est inexorablement à la fête. L'accueil est chaleureux, le sourire ne quitte pas les lèvres. Les villageois souhaitent la bienvenue, et sont eux-mêmes contents d'accueillir tout ce beau monde. Ils sont fiers de leur village, et heureux qu'autant de monde soit là pour le voir. La route qui y mène est longue et pentue, mais l'effort est vite noyé dans la bonne humeur. Les participants sont nombreux dans la salle d'accueil, le personnel débordé. Voyant que l'attente s'éternise, on se laisse faire un tour dans le village, repérer les lieux. L'endroit ne ressemble à rien que les arrivants n'aient vu auparavant. La propreté est éclatante, le village a bien mérité son prix. La chaleur suffocante qui les a accueillis plus bas se dissout très rapidement à l'ombre des ruelles étroites. Ces dernières convergent vers tajmaât, le lieu où se rassemblent les membres du village pour discuter des affaires de ce dernier. Une façon de faire millénaire, qui est toujours d'actualité. Le sens de la visite suggère de prendre à droite une fois arrivés à l'assemblée. Les photographes et peintres s'empressent de coller certaines de leurs oeuvres aux murs. On joue des coudes pour évoluer dans le village. Ce dernier n'a pas été pensé pour accueillir autant de personnes. Le coup d'envoi n'a même pas encore été donné, que la musique et les «Jam sessions» battent leur plein. Une fête où tout le monde s'invite De retour après le repérage des lieux, la foule est toujours aussi dense dans la salle d'accueil. Les membres du staff d'accueil peinent énormément à gérer le flot des arrivants. L'attente est interminable. Le talon d'Achille du festival est vite détecté. Peut-être l'organisation est-elle le seul point à parfaire dans ce festival, tant elle contraste avec l'ambiance bon enfant qui règne. L'attente ne se termine toujours pas. Certains jouent de la musique pour passer le temps, d'autres font connaissance. Certaines accolades s'allongent, quelques personnes se connaissent pour s'être rencontrées lors des précédentes éditions. Une fois inscrit et la contribution payée, il faut... revenir plus tard pour se voir attribuer un hébergement! Certains n'en auront pas. D'autres ne recevront leurs badges que deux ou trois jours plus tard, ainsi que les tickets pour la restauration. Bien que ces deux points soient importants, ils ne gâchent en rien la fête et l'ambiance. Certains ont ramené leurs tentes, d'autres dorment à la belle étoile. La météo s'y prête joyeusement. C'est aussi l'occasion pour certains d'éterniser les échanges et les discussions. Le stade du village s'est transformé en scène improvisée et en lieu où les visiteurs bivouaquent. La désorganisation donne une place prépondérante à l'improvisation et à la spontanéité. Une journée type à Racont'Arts commence à 10h du matin. Tous les jours à cette heure-ci, les participants et visiteurs se rassemblent pour «un auteur, un livre». Une façon de commencer la journée avec un débat autour d'un livre, en présence de l'écrivain. La compagnie a vu l'intervention de Chawki Amari, Leïla Aslaoui, Amel El Mahdi et bien d'autres. Des tables rondes sont aussi tenues, à l'image de celle dont le thème était «la femme, un combat éternel pour l'amour et la liberté», ou encore «la question berbère aujourd'hui». Pendant la journée, la place est laissée aux différents ateliers, dont certains s'organisent de la façon la plus spontanée qui soit. Certains ateliers sont annoncés et prennent place quotidiennement. Des ateliers traitent de l'écriture, d'autres de dessin, de BD, ou encore d'échasses. Autant dire que les arts qui font le festival sont des plus variés. Pas le temps de s'ennuyer, au plus grand bonheur des villageois, particulièrement des plus jeunes. Les journées se terminent généralement avec la projection d'un film ou la performance d'une troupe théâtrale. Ou encore avec un concert, à l'image de celui d'Akli D qui n'a pas manqué d'enflammer le public avec ses sonorités empreintes de musique kabyle moderne. Une empreinte politique forte Le festival, sans se l'avouer, comporte un volet éminemment politique. La voix de Matoub Lounès raisonne encore dans tous les coins de rues. Depuis le premier jour, depuis la première heure. Tous les villageois connaissent ses chansons par coeur, que ce soit dans la musique ou dans le texte. «La question berbère aujourd'hui» a été le sujet d'une table ronde tenue par les organisateurs du festival. La thématique de l'émancipation de la femme également. Le visiteur sent aussi le fossé culturel qui existe entre les mentalités dans les grandes villes algériennes et celles dans les villages de Haute Kabylie. Les villageois de Tiferdoud, comme ceux des autres contrées montagnardes du pays revendiquent leurs particularités et sont fiers de leurs différences. L'amazighité est élevée au rang d'idéal, sans pour autant aller à l'encontre de ce qui ne l'est pas. Un rassemblement dans la différence est le maître-mot. Ils sont pour leurs différences sans être contre l'Autre. Autre fait qui ne passe pas inaperçu. Le voile est pratiquement absent. Les bastions islamistes sont loin d'ici. Kamel Amzal, l'enfant du pays assassiné par les terroristes, vit encore ici. Les libertés de chacun sont respectées, et chacun connaît ses limites, sans ambiguïté. Les arts deviennent des armes redoutables contre tout extrémisme. La 15e édition du Festival Racont'Arts est bien partie pour être une édition particulièrement réussie. La difficulté à apprendre des erreurs des éditions précédentes réside dans le fait que tous les ans, il est organisé dans un village différent. Mais le festival commence à avoir une réputation à la hauteur de ce qu'il apporte aux participants et aux villageois. L'idée d'apporter les arts aux villages plutôt que ce ne soit les villages qui se déplacent, est d'une beauté naïve et d'une réussite terrible. Rassembler les artistes dans des villages pittoresques est tout aussi redoutable d'efficacité, tant l'idée est créatrice d'inspiration et de dynamiques nouvelles entre les artistes. Les arts dramatiques rencontrent les arts plastiques et l'audible se joint au visible pour offrir une fresque tout aussi difficile à quitter qu'à oublier.