Les principaux acteurs de Wanas accompagnés du réalisateur La soirée d'ouverture des RCB a tapé fort, en donnant à voir deux films sur un sujet assez tabou finalement, et comment s'en sortir quand l'un vient à nous quitter ou est atteint d'Alzheimer... La cinémathèque de Béjaïa était en effervescence samedi soir et pour cause! Chaque année elle a pris l'habitude d'abriter l'événement cinématographique le plus important de la ville et du pays tout entier. Les Rencontres cinématographiques de Béjaïa, sont la manifestation dédiée au 7ème art, la plus ancienne en Algérie avec comme signe particulier, faut- il le noter, son indépendance. Exit le patronage sous l'égide du ministère de la Culture, mais une forte aide des autorités locales et d'autres sponsors conséquents. Cette année ce sont 24 films qui seront projetés, lesquels sont souvent marqués par le saut de la tendresse, celui du regard du réalisateur. Il sera ainsi question le jour de l'ouverture, mais aussi plus tard avec les films Et Roméo épousa Juliette ou encore avec le film de Yasmine Chouikh Jusqu'à la fin des temps que le public bedjaoui est invité vivement à voir. Mais pour l'heure, place à un court métrage égyptien et un documentaire français en relation toutefois directe avec l'Algérie. L'un d'une grande beauté cinéphilique et l'autre, «filmé à l'instinct», sans aucune prétention cinématographique si ce n'est de montrer une mère courage et la mettre sur un piédestal, avec une passion dévorante pour tout le sacrifice qu'elle a consenti pour élever ses neuf enfants, mais pas que. Le premier de 22 mn s'apelle Wanas (affabilité) est-il signé Ahmed Nader. Tanit de bronze aux JCC 2017 ce film qui parle d'amour entre un couple de 80 ans mêle le réel à l'imaginaire d'une façon hautement poétique. Mahmoud (Abdul Rahman Abou Zahra) et Nabila (Ragaa Hussein) sont un couple amoureux de 80 ans. Ils vivent seuls dans leur maison. Si les premières scènes sont à la fois drôles, touchantes, voire incongrues, celles qui suivent seront plus tristes et dramatiques. Le réalisateur parvient à nous introduire dans la tête de cette femme qui se souvient de son mari avant qu'il ne tombe malade et soit alité. Le film se construit sur le va et vient, entre réalité et introspection féminine. Et ainsi nous parvenons à nous introduire dans les fantasmes ou tendres souvenirs qu'avait partagés cette femme avec son mari. Une démarche assez intéressante, d'autant qu'elle permet au spectateur de prendre conscience de la solitude, du manque et de la chance parfois qu'on a éprouvé à un moment de sa vie et qui ne reviendra plus...Lors du débat, le réalisateur a fait savoir que le film porte sur la force de l'amour et de ses images subliminales que l'on garde en nous, comme des traces indélébiles qui nous poussent à continuer à vivre. Indubitablement. Le film de Ahmed Nader est d'autant plus pertinent car il met en parallèle deux fictions comme une sorte de mise en abyme entre ce que vit cette femme dans son quotidien et un vieux film égyptien que cette femme regarde inlassablement à la télé et qui fait un étrange écho à son destin. Ce film met en scène la comédienne Chadia dans un ancien film des années 1970 qui, amoureuse d'un homme, finit par tomber malade et meurt à la fin, laissant ce dernier, amoureux transi en suspens. Ce dernier assure dans un superbe beau plan que le départ de sa bien aimée n'était pas vain car l'amour qu'elle représentait a fini par inonder son coeur et le pousser furieusement à continuer à vivre, avec force...Un message de ténacité, celui de ne pas baisser les bras même après le départ d'un être cher. C'est le cas du film documentaire de Nadir Dendoune qui est parti interviewer sa mère dans une espèce de huis clos intimiste (chez elle au 93) où il ne sera question qu'elle, la «star» du film. Il sera question d'héritage culturel, mais aussi de retour aux sources, de la clé des origines, mais aussi du passé, du présent aussi et son hypothétique avenir. Celui de l'arrivée de cette femme en France 7 ou 8 ans après son mari. Parti le rejoindre à l'âge de 25 ans, alors qu' elle avait déjà quatre enfants et qu'elle ne savait ni parler ni écrire en français, mais elle a dû se débrouiller pour tout faire toute seule. L'interrogeant sur sa vie de famille, entre avant et après, le réalisateur tente de sonder le vide actuel et cruel même qui s'est abattu sur sa mère après avoir partagé plus de 60 ans de vie commune avec son père, aujourd'hui placé dans une maison de retraite pour cause d'Alzheimer. Si le sujet est extrêmement sensible et délicatement posé, la façon parfois de harceler sa mère par ces questions paraît par moment grossier, devant la caméra tant l'insistance est visible et nous met dans la gêne. Néanmoins, le réalisateur connaît sa mère jusqu'au bout des doigts. Si la première partie passe difficilement, certains moments de grâce parviennent à apparaître. Ce sont bien ces moments émouvants quand la mère enfin, passé le blocage ressenti, commence à se confier à son fils et de vider son sac. Le film tangue ainsi entre les tentatives à faire dire et les confessions d'une femme fatiguée, mais qui continue à résister malgré tout. D'ailleurs, son mari elle le voit tous les jours et reçoit souvent ses enfants chez elle. Passées les larmes que le réalisateur filme parfois maladroitement avec zoom arrière grossissant, ou encore ses gestes du quotidien, comme laver la vaisselle ou faire le parterre, on arrive aux moments de joie qui semblent être rares, mais nécessaires à l'équilibre de tout être. En gros, si le film parle d'une femme kabyle cela peut être le cas de n'importe quelle femme exilée dans le monde. Nadir Dendoune ose montrer la sensualité avec pudeur en incitant sa mère à enlever son foulard ramenée d'Algérie. Et de nous montrer comment se coiffe-t-elle en prenant le soin d'enrouler ses nattes par-dessus. Le passé là encore est présent à travers toutes ces photos que la maman Dendoune feuillette ou dépoussière. Un album de famille dans lequel beaucoup se sont reconnus ou se sont identifiés samedi soir dans la salle de cinéma. Un pari réussi pour ce tocard de journaliste qui, pour le coup, a troqué son stylo et ordinateur pour la caméra. Même si avec peu de moyens et surtout aucune vocation cinématographique, si ce n'est quelques rares velléités esthétisantes parfois naïves...