«Plus on avance dans le temps, plus on s'enfonce dans une histoire officielle qui, à la longue, nuit énormément à l'Algérie...», dira l'auteur de Aliénation. La bataille d'Alger, un film dans l'histoire, le nouveau documentaire de Malek Bensmaïl, Prix spécial du jury au dernier festival d'Oran du film arabe, ayant par ailleurs un franc succès en ce moment dans de nombreux festivals, a été projeté mardi soir à la cinémathèque de Béjaïa dans le cadre des 16es Rencontres cinématographiques de Béjaïa. Ce documentaire qui s'attarde sur le double rôle qu'a joué le film de Gillo Pontecorvo, à la fois pour les indépendantistes des Black Panhers et de la Palestine, mais aussi comme moyen de défense pour les USA contre les terroristes et les insurgés, donnera la parole à ceux qui ont fabriqué ce film. Ce dernier a été réalisé d'après les écrits/souvenirs de Yacef Saâdi tels que mentionnés dans son livre. Yacef Saâdi qui trouvera les financements pour la réalisation de la bataille d'Alger, campera son rôle. Ayant reçu un Lion d'or à la Mostra de Venise en 1971, le film sera interdit en France. Malek Bensmaïl s'emploiera dans son documentaire à évoquer les bienfaits et défauts du film La bataille d'Alger à la fois sur l'histoire, la mémoire des Algériens, mais aussi à traiter des incidences qui peuvent se traduire à partir de cet objet cinématographique de propagande. Présent au débat, Farid Belhoul qu'on voit dans le doc interpréter son fameux morceau sur La bataille d'Alger, dira, qu'effectivement, ce film sonne creux aujourd'hui car il appelle à un espoir de changement qui tarde à venir et met la jeunesse dans un état d'attente permanent jusqu'à la consternation. «Vous sentez -vous privilégié parce que vous avez projeté votre film en Algérie alors que nous venons d'apprendre que le film de Bachir Derrais sur Larbi Ben M'hidi vient d'être interdit de sortie?» dira un spectateur dans la salle en s'adressant à Malek Bensmaïl. A cela ce dernier tiendra à préciser qu'avant Bachir Derrais, ses films à lui aussi ont été censurés de par le passé en citant notamment Aliénation et La Chine est encore loin. Et de faire remarquer: «(...) J'ai besoin de raconter mon histoire, c'est-à-dire notre histoire, nous Algériens. Il faut arrêter de se mentir. Il faut faire un cinéma qui soit juste et d'une certaine vérité, qui mette en porte-à-faux notre propre histoire, en porte-à-faux nos problématiques aussi. Rien n'est aussi positif qu'on nous le dit. Il y a des failles parfois, qu'il faut questionner, parce que c'est notre âme. Plus on avance dans le temps, plus on s'enfonce dans une histoire officielle qui, d'ailleurs, va à l'encontre même de ce que veulent faire passer les officiels, car au fil du temps, ça nuit énormément à l'Algérie.» Sur une chaîne de télé française, à savoir France 24, Bachir Derrais témoignait à juste titre cette semaine soulignant: «Ce mois -ci on devait concrétiser la sortie du film et signer avec les distributeurs, faire un plan média et définir une date de sortie, j'ai été surpris de recevoir un courrier de la part du ministère des Moudjahidine disant que le film ne peut pas sortir dans cette version et qu'il faut couper certaines scènes. Le ministère a émis des réserves sur de nombreuses scènes arguant que mon film est plutôt politique et qu'il n y ait pas assez de scènes de guerre et de tortures. Cette interdiction émane d'un centre de recherche qui dépend du ministère des Moudjahidine. Ce dernier refuse de valider le film dans sa version de montage actuelle. Pour moi c'est un choix de mise en scène qui s'est imposé dès le départ. Je fais un film politique. En Algérie depuis l'indépendance à nos jours nous avons produit une centaine de films sur la révolution, mais nous n'avons jamais produit des films sur les chefs politiques. Aujourd'hui il y a un problème qui réside dans le fait que le cinéma est entre les mains de l'administration. Le script a été validé en 2013, soit par des personnes qui n'étaient pas là avant. Des personnes qui ont des visions différentes», a fait savoir Bachir Derrais annonçant son dépôt de recours pour contester les réserves émises par le ministère des Moudjahidine. «Je suis un défenseur de la liberté d'expression. J'estime que nous avons fait assez de recherches pour ne pas modifier le film. Celui est basé sur des récits, des écrits par des chefs de la révolution même, des écrits récents. Donc je ne vois pas comment je vais faire pour me plier à des gens qui sont derrière leurs bureaux, des administrateurs. Si on n'arrive pas à trouver un accord, je ferai appel au président de la République pour instaurer une commission de visionnage indépendante qui sera composée d'historiens et de chercheurs reconnus mondialement car il y en a en Algérie, notamment Daho Djerbal, Abdelmadjid Merdaci, Mohamed Harbi. Je demande à ce que mon film soit jugé par, de vrais historiens et non pas par des bureaucrates.» Pour rappel, ce film est une coproduction entre le ministère de la Culture, celui des Moudjahidine, la boîte de production de Bachir Derrais et quelques sponsors privés et étatiques.