Abdellatif M'rah que j'ai rencontré à Tlemcen (en pèlerinage), chez ses amis et sa famille, s'est confié à L'Expression sur son mutisme pour ne pas dire sa mise à l'écart de la programmation culturelle de l'unique TV. Ecoutons-le aborder le passé, le présent et l'avenir de la production télévisuelle. L'Expression: Que devient le réalisateur de Cheikha Tetma (la Diva de la chanson andalouse), la vie et l'oeuvre d'Ahmed Saber (le zazou de la chanson oranaise), Kaki Ould Abderrahmane (magicien des planches), Cheikh Redouane Sari, Cheikh Ghaffour, Raïna Raï, Cheb Hasni, etc... A. M'rah: Je n'aime pas parler de moi mais tu m'as taquiné en me citant mes productions. Je n'ai pas débarqué à la télévision par accident, je crois que cela s'est déclenché à l'âge de huit ans en voyant mon premier film. C'était à Oujda (Maroc) où j'ai vécu toute mon enfance (né en 1945) et mon adolescence et où j'ai filmé les salles de cinéma juste l'année dernière avec une grande émotion. Le premier film que j'ai vu dans la salle de cinéma Vox c'est Iwo Jima avec John Wayne, j'avais huit ans. Depuis le virus était choppé. Laissons les souvenirs de côté et parlons de ton passage dans la station régionale d'Oran Entv et de tes réalisations. Peu importe, le plus important, c'était d'avoir la possibilité d'intervenir sur des images et parler avec l'autre, celui qui te regarde. En 1968, la tête pleine d'ambition et de rêve, je quitte très jeune mes études pour vivre ce rêve d'enfance, faire la connaissance et l'apprentissage de l'audiovisuel, cela va durer jusqu'à 1974. Devant les nombreuses difficultés que j'ai rencontrées dans un monde hostile au changement, et m'apercevant que je faisais du surplace, je décide de suivre des études universitaires en France où j'obtiens une licence en sociologie. Toujours passionné de cinéma, je réintègre difficilement la station régionale d'Oran en 1985. Cette année 1985 a été le couronnement de tes efforts avec la plupart de tes réalisations. En dépit de grandes difficultés, j'ai pu réaliser de grands documentaires, des portraits, des émissions thématiques pour ne citer que : Belmokadem (homme de théâtre), Cheikh Ghaffour (1985) 1re partie, cinéma d'hier et d'aujourd´hui (1985), le premier festival international du court métrage (1986), Cheikha Tetma (1986), Ahmed Saber (1988), M'hamed Benzerga ( le chanteur des années 1980, N'bghik, N'bghik, fredonnée avec émotion), mort par accident sur sa Vespa, la ville d'Oran était à cette époque consternée, Ould Abderrahmane (Kaki), Raïna Raï, Cheb Hasni (2002). M.le président Chirac à Oran (2002), Cheikh Redouane Sari fils de Cheikh Larbi Bensari mort en exil au Maroc, Cheikh El Ghaffour 2e partie (2001), des reportages débats, un certain regard sur la maladie mentale - le mur du silence - Oran côté cour côté jardin (censuré), des variétés, Ma dert Walou (sur la mal vie), nostalgie -, etc... Cette liste exhaustive montre que tu t'intéresses aux problèmes de la cité (Oran) et tu as immortalisé des personnalités, des repères en tant que sociologue par la caméra. Qu'en penses-tu? Lorsque je vois des gens m'apostropher dans la rue pour me féliciter et me remercier, je suis très ému et j'ai la nette impression que j'ai visé juste, mes travaux, en somme, restent une expression pour moi sur la réhabilitation de la mémoire sur des génies ou des héros marginalisés qui peuvent être des gens ordinaires, hommes de culture ou autres. Cela me permet de creuser en quelque sorte pour remettre en surface les richesses de mon pays. Je dépoussière des reliques pour les montrer même si certains sujets m'ont valu des retours de manivelle car cet amour de traiter des thèmes est une thérapie pour moi, cela porte des fruits Alhamdou Li Lah (grâce à Dieu) et il suffit de peu pour être heureux car l'émotion ne s'apprend pas! On sent dans votre discours que Abdellatif M'rah est un peu marginalisé après avoir beaucoup «trimé». Pourquoi cette longue absence de la télévision? Parlez-nous à coeur ouvert. Voilà, je rentre dans la quatrième année et je suis «mis au placard» pourquoi? Il faut poser la question au gestionnaire de la station d'Oran. J'ai déposé 14 grands projets et je suis en situation d'attente, je reste optimiste et je garde le sourire... Je suis attristé de constater que les grands réalisateurs qui ont signé et fait la Télévision algérienne, ont disparus de l'écran, quel gâchis! Mettre en retraite des artistes quand la relève s'avère non consistante, la maturité d'expression vient avec l'âge et le recul. Dans les pays développés, dans ce domaine, on réalise des films jusqu'à la fin de sa vie. Quel est votre souhait? Etes-vous satisfait de ce que fait l'Entv? Je te repose la question différemment. Est-ce que la télévision est satisfaite de mon travail et de ce que j'ai pu apporter à l'autre? On ne m'a jamais tendu la main pour me dire merci... pardon... sauf M.Brahim Belbahri, ex-directeur régional et ex-DG de l'Entv et je profite de l'occasion pour lui rendre hommage, le plus respectueusement. Je ne remercierai jamais assez la télévision de m'avoir permis de faire de beaux documentaires et émissions et de découvrir des gens formidables qui ont subi la malvie et ont écrit une page de leur histoire dans la douleur et je crois que je m'identifie beaucoup à ce genre de personnage. Faire des produits nécessite beaucoup de patience et de foi et je reste persuadé et confiant que nous arriverons à rentrer dans la production de qualité à condition de donner la chance à une nouvelle génération de cinéastes formés et responsables. J'espère que les responsables des institutions et gens de culture réconcilieront le public avec son image, sachant qu'il existe d'autres Ahmed Saber, Hasni, Djamel dit Fatmi, Cheikha Tetma, El Ghaffour dans notre société en mal d'identité. Nous devons faire notre travail en tant qu'Algérien responsable, l'histoire est là et ne pardonne pas car le chemin est long et tortueux. Que veut dire pour toi réussir sa vie? C'est beau tout cela... Les gens qui me connaissent te diront que je suis un monsieur sincère, qui ne joue pas. Si un jour je devais ne plus me regarder dans une glace et me reprocher des tas de saloperies, je m'exilerais, mais là je suis responsable et je m'étonne des moments où je n'étais pas loin des aspirations qu'on avait enfant, c'est avoir l'idéal à l'adolescence, atteindre cet idéal et être capable de s'en étonner, et ne jamais trahir cette jeunesse. Réussir sa vie c'est lorsque vos enfants et les gens qui vous entourent vous regardent avec fierté et vous apprécient. Quand vous regardez autour de vous afin de promouvoir le respect mutuel où l'on est capable d'éprouver des émotions d'une rencontre, comme devant l'écoute d'une belle musique. Grâce à la télévision, j'ai eu le privilège de côtoyer du bon et du mauvais «une vie réussie, c'est une vie que l'on a écrite». Merci à L'Expression.