Chanter le désert, la pureté de ses nuits est la gageure que tout poète inscrit en priorité dans son livre de marche. Dire le désert, rendre cette sensation impalpable qu'il infuse à la vie est un exercice auquel se livrent sans remords les rythmeurs de mots qui, pour apaiser leur âme tourmentée, s'engagent dans les immensités ou «l'être subjugué s'enfonce dans une extase presque transparente. Glacée. Pure. Extrême. Tibétaine». Rachid Boudjedra annonce la couleur dans l'opuscule publié par les éditions Barzakh Cinq fragments du désert. L'écrivain qui s'est fait poète et essayiste a délibérément placé sous l'égide d' «Exil», ce lumineux recueil de Saint John Perse, dédié à la Numidie, cette intrusion dans les tréfonds de la nudité sublimée des dunes, des ergs, des hamadas qui font toute la beauté hallucinante et la poésie inégalable du désert. Dans ce duel à distance avec le maître, Boudjedra témoigne de «la noirceur de la nuit déserte ou désertée (...)» plongeant dans la «Descente du temps qui bute contre une courbe hypothétique mais exponentielle». usant de l'art de décortiquer les mots leur donnant un sens profond «comme des gisements inconnus, des cratères méconnus de la mémoire nomade» (numide? s'interroge le poète). Décrypteur de strophes inénarrables le poète se laissant dériver par la métaphore esquisse ce désert qui «comme une pudeur de femme qui dénude son corps (...) découvre que ses hanches sont aussi argileuses, aussi arrondies que les dunes». S'exclamant émerveillé: «Le Désert, alors, est une femme aux formes impudiques!» Ce petit recueil de Boudjedra mesure les mots aux sensations du désert, retrouvant, par endroit, le lyrisme et l'éloquence de la geste arabe à laquelle il fait appel pour dire «le Sahara, ce destin exemplaire» Facile à lire, Cinq fragments du désert est une invite aux mystères du désert revisité et immortalisé par le poète. Peut-on, peut-être, regretter ces parenthèses (intempestives?) intercalées dans l'écrit qui cassent le rythme d'un texte, par ailleurs, dense et inventif dévoilant les mille et unes couleurs du désert.