Cette année, les commerçants n'y sont pas allés avec le dos de la cuillère. «Les dépenses de l'Aïd sont le coup de grâce porté à nos modestes bourses. Nous sommes obligés de répondre au caprice des enfants même si cela nous coûtera les yeux de la tête», diront des citoyens oranais rencontrés à Souk El Kettane (le marché du tissu ndlr) de M'dina J'dida, devenu avec cette période d'avant fête le centre d'intérêt de toute la ville. Plusieurs Oranais n'hésitent pas à déclarer, la mort dans l'âme, que pour cette année, la situation financière est très difficile. «Vous savez nous avons fait face aux dépenses de la rentrée scolaire, puis à celles du Ramadan et aujourd'hui nous sommes contraints de faire toute une gymnastique pour pouvoir offrir aux enfants, et les gâteaux et les habits de l'Aïd», dira une mère de famille rencontrée traînant derrière elle toute une marmaille. Cette année, les commerçants n'y sont pas allés avec le dos de la cuillère. Ils ont préparé cette occasion avec beaucoup de minutie. Les voyages vers la Turquie et la Syrie ont permis de préparer des stocks de marchandises aujourd'hui bien exposées dans les vitrines des magasins du centre-ville. Cette année, certains ateliers clandestins ont repris du service pour satisfaire une demande toujours en hausse. Des cargaisons de tissu ont été introduites en Algérie pour tenter de relancer l'activité du textile moribonde depuis des années. Cela n'augure rien de bon pour le secteur contraint aujourd'hui, avec son état de dégénérescence, de faire face au prêt-à-porter importé de Chine et d'autres pays du Sud-Est asiatique. Plusieurs familles oranaises n'hésitent plus à dire qu'elles ont recours à l'endettement et aux prêts sur gage pour faire face aux dépenses de l'Aïd. «Que voulez-vous, je ne suis qu'un salarié et avec toutes ces dépenses je n'ai comme solution que le prêt sur gage ou l'achat par facilités». Cette pratique qui était exclusivement réservée aux opérations importantes comme les acquisitions mobilières, immobilières ou d'électroménager a fait son apparition dans le commerce du prêt-à-porter et de l'alimentation. Certains commerçants proposent aujourd'hui cette formule pour ne pas compromettre leur chiffre d'affaires. «L'inflation a laminé le pouvoir d'achat du consommateur qui doit aujourd'hui attendre un geste de notre part. Il faut faire preuve d'ingéniosité pour ne pas rester toute la journée les bras croisés», dira un commerçant de M'dina J'dida. Le même son de cloche est perçu auprès des commerçants du centre-ville. «Vous voyez, je me suis préparé pour l'occasion, mais avec cette crise qui frappe de plein fouet le pouvoir d'achat du citoyen je ne sais pas si j'aurai l'occasion d'écouler tout mon stock» avouera avec un soupir le propriétaire d'un magasin du centre-ville d'Oran. Il est vrai que pour cette année, l'offre dépasse de loin la demande, mais cette tendance est trompeuse. Elle ne traduit pas l'opulence. Elle est le résultat d'un malaise social qui a tendance à s'exacerber avec le temps. Les usuriers et autres prêteurs sur gages clandestins ont refait leur apparition comme au temps du rationnement. «J'ai déposé en gage tous les bijoux de ma femme et je ne sais quand je pourrai rembourser ma dette pour les récupérer», dira un homme rencontré au sortir du marché de tissus de M'dina. «Je vais faire un tour du côté de la friperie d'El Hamri où je pourrais peut-être trouver quelque chose de potable à acheter pour mes enfants. Drôle de temps, le pétrole plafonne à près de 70 dollars mais nous sommes obligés de nous rabattre sur des stocks de vêtements usagés achetés au kilo d'Europe», dira notre interlocuteur. Les ménagères oranaises courent le matin les commerces à la recherche d'ingrédients pour les gâteaux et le soir, après le f'tour, la dernière gorgée de café bue, elles s'empressent d'aller faire la tournée des magasins pour trouver un petit quelque chose à offrir aux enfants en des habits décents pour l'Aïd. «Les vêtements que mes enfants ont portés pour la rentrée scolaire sont encore neufs. Lavés et repassés, ils pourront bien faire l'affaire car avec les prix affichés aujourd'hui par les magasins je ne sais pas si je pourrais acheter quoi que ce soit», ajoutera une maman qui citera l'exemple d'un magasin qui propose des petites robes pour fillettes pour la rondelette somme de 2800 dinars, rien que ça...!