«La loi du 23 février est blessante et stupide». «La profanation de la tombe de Abane Ramdane est un acte abject qui porte atteinte à la mémoire du fondateur du Front de libération nationale. Ses commanditaires sont les mêmes personnes qui accusent cet architecte de la révolution algérienne de traître.» C'est sans ambages que M.Aït Ahmed, cette personnalité emblématique de la révolution algérienne, a défendu bec et ongles, jeudi soir, sur le plateau de la chaîne BRTV, la mémoire de son compagnon de guerre et celle de tous les «les visages sincères de l'histoire de la révolution». Au cours d'un face-à-face avec les jeunes, à l'occasion du 51e anniversaire du déclenchement du 1er Novembre, Aït Ahmed paraissait très à l'aise, très enthousiaste, face à une génération à qui il n'a rien à reprocher. Et c'est non sans amertume qu'il s'adresse à ses interlocuteurs, décidé à tirer le maximum de ce témoin clé, pour affirmer que «jusqu'à aujourd'hui nous n'avons pas une histoire honnête». Les accusations portées contre Abane Ramdane en sont la preuve tangible. Et à Aït Ahmed d'accuser: «En réalité ceux qui étaient contre Abane, ne voulaient pas entendre parler de la révolution». On se rappelle que, dans ses mémoires, M.Ali Kafi, ex-président du Haut conseil d'Etat (HCE) a porté des accusations de traîtrise contre Abane Ramdane. Une approche largement défendue par l'ex-président de la République, M.Ahmed Ben Bella, sur le plateau de la chaîne satellitaire Al Jazeera. L'invité de BRTV n'a pas manqué de tirer à boulets rouges sur ce dernier justement en l'accusant d'avoir tout fait à l'époque pour saboter le congrès de la Soummam. «Ben Bella et Mohamed Boudiaf ont tenté d'organiser un congrès bis», atteste-il. Il ne cache pas, dans ce sens, ses divergences avec ces deux personnalités du mouvement révolutionnaire. L'occasion pour lui de revenir sur les luttes intestines au sein de ce mouvement, entre le PPA et le MTLD, les centristes et les messalistes, les qualifiant «d'absurdités». «Cela a entraîné, défend-il, le mouvement national dans un cercle vicieux». Pour Aït Ahmed, l'Algérie aurait pu avoir son indépendance avant 62 si les organisations avaient été mieux structurées, mieux organisées. Par ailleurs, cette figure emblématique de la guerre de Libération reconnaît que la Révolution a été un échec sur le plan militaire. «Si sur le plan politique tout était bien préparé, sur le plan militaire c'était l'échec». «Nous avons assisté à des exécutions sommaires, alors que la révolution n'avait pas pour vocation de consacrer la violence, selon ses initiateurs». «A une étape, il fallait tirer les leçons de nos erreurs, chose que nous n'avons pas faite». Pour Aït Ahmed, la révolution a été détournée de sa vocation, mais tient à rappeler que cette option était inéluctable. «La guerre n'était pas un choix mais une obligation», ajoute-t-il. La deuxième figure historique défendue par Aït Ahmed c'est Messali El Hadj. «Ce dernier n'avait pas adhéré à la révolution, parce qu'il avait une autre vision, une approche différente de la lutte contre le colonialisme, contrairement aux idées colportées contre cette personnalité qui tenait à l'indépendance du pays». Par ailleurs, interrogé sur la loi du 23 février votée par le Parlement français, glorifiant la période coloniale, Aït Ahmed répond sans équivoque que «ce texte blessant pour le peuple algérien est stupide qui développe une vision contre la décolonisation». Il s'est montré, par ailleurs, très critique vis-à-vis de la France officielle qui se contente «d'envoyer des messages de félicitations au peuple et au président Bouteflika après chaque élection». Concernant le traité d'amitié, il a reproché au président de la République de vouloir «accaparer à lui seul la reconnaissance des crimes commis contre la guerre malgré le fait qu'il n'avait pas eu un rôle déterminant dans la guerre d'Algérie». Il a reproché aux deux parties, algérienne et française, de faire dans l'opacité dans le traitement de ce dossier qui demeure un mystère pour les deux peuples. Revenant sur la situation politique dans le pays, le président du Front des forces socialistes (FFS), Aït Ahmed a saisi cette rencontre pour marquer, encore une fois, ses distances avec le pouvoir, l'actuel et celui qui a géré l'Algérie depuis l'indépendance, il a déclaré que «la violence et la décennie noire sont les conséquences de l'échec des différentes politiques menées de 62 à 89». Brossant un tableau noir de la situation des droits de l'homme, et des libertés d'expression dans le pays: «C'est la politique de la destruction interne qui est pratiquée dans le pays», martèle-t-il. Faisant allusion à l'institution militaire, il précise : «Je n'ai aucun reproche à faire à l'armée mais à ses généraux qui ont interrompu le processus électoral». Le choix du Front des forces socialistes de participer aux élections partielles découle de sa volonté de mobiliser la population contre tous ces dangers: «La mobilisation des masses passe inéluctablement par les collectivités locales.» Aït Ahmed qui n'a pas voulu trop commenté cette position, a fait savoir que la Kabylie ne cèdera pas au chantage de la fraude. Le président du Front des forces socialistes a reconnu que le dialogue reste la seule chance pour l'Algérie pour sortir de la crise. «Il faut que nous nous écoutions les uns les autres, le dialogue doit rassembler à la même table tous les acteurs politiques» sans plus de détail. L'année dernière, le président du FFS avait effleuré la même idée à Aïn Benian, dans son meeting animé à l'occasion du 50e anniversaire du déclenchement de la révolution, en précisant que «j'ai choisi mon camp, il est celui du peuple».