Longtemps, l'écriture de l'histoire de la révolution a été empêchée, censurée, pour ne pas dire bâillonnée. L'histoire est un tamis : un jour ou l'autre les faits passent au crible et l'on voit séparer le bon grain de l'ivraie. Pour l'histoire de la révolution, particulièrement, il est bon que des acteurs historiques de premier plan, comme Hocine Aït Ahmed, s'expriment et fassent un recadrage. Cette fois, l'homme historique a saisi le prétexte de la profanation de la tombe de Abane Ramdane pour régler leur compte à tous ceux qui ont été à l'origine des déviations gravissimes qu'a connues la révolution algérienne. Il remonte très loin dans l'histoire du mouvement national. Intervenant avant-hier sur les ondes de la chaîne Berbère TV, il a parlé des luttes intestines qui ont émaillé le PPA-Mtld, et celles qui ont plus tard opposé le FLN aux messalistes. L'une de ses déclarations les plus importantes a trait à l'envoi de Ahmed ben Bella au Caire en tant que représentant du FLN. Pour lui, ce fut une erreur: Ben Bella n'avait ni le charisme ni la vision de Messali El Hadj, et c'est ce dernier qui aurait dû être désigné à ce poste. Ben Bella est soupçonné rien moins que d'être un agent des services secrets égyptiens. On retiendra en, fin de tous ces propos que la révolution a été un échec. Cela, direz-vous, on le savait déjà, mais leader historique, Hocine Aït Ahmed, promet de faire d'autres révélations pour étayer ses thèses dans ce prochain ouvrage. En réalité, c'est l'annonce même de l'écriture de ses mémoires qui constituent un scoop et un vrai. Longtemps, l'écriture de l'histoire de la révolution a été empêchée, censurée, pour ne pas dire bâillonnée. Une autre lui a été substituée, constituée d'omissions et de non-dits, arrangeant la vérité historique en fonction des puissants du moment. On a eu des bouts d'histoire falsifiée. Boumediene a eu son histoire officielle, Chadli la sienne, Ali Kafi celle qui l'arrange, et ainsi de suite. Par exemple, Boumediene, d'après Mahfoud Kaddache, ordonnait qu'on parle des faits, mais pas des hommes. Cela est-il possible, sachant que dans les manuels scolaires et dans les médias étatiques et du parti unique, les gens ne savaient pas qui était Boudiaf, ou Abane, ou Messali, ou l'Emir Khaled. Quant à Ali Kafi, il s'est surtout manifesté par la haine qu'il vouait et qu'il continue de vouer à la mémoire de Abane Ramdane. On ne sait pourquoi du reste. Les choses ont changé aujourd'hui. Les moyens du numérique, du satellite et le multipartisme - fruit des luttes démocratiques —, permettent d'aller au-delà de la falsification et de l'arrangement de l'histoire de la révolution en fonction des princes du moment, qui aiment à se donner le beau rôle pour se valoriser et se mettre en avant, même s'ils furent de pâles acteurs au cours de la révolution ce qui ne les empêche d'avoir accompli leur devoir nationaliste (ce qui est une autre histoire). En fin de compte, on peut dire qu'un historique comme Aït Ahmed puisse s'exprimer à la veille du 1er Novembre doit être salué à sa juste mesure. Cela signifie tout simplement qu'on ne peut pas indéfiniment continuer à falsifier l'histoire pour l'arranger au goût du jour. 51 après, et même si des acteurs de première importance nous ont quittés sans apporter leur témoignage, il est encore possible de corriger le tir. La liberté d'expression retrouvée grâce aux luttes de nos aînés, mais aussi grâce à celles des générations qui sont venues après l'indépendance, doit permettre de déblayer le terrain pour une écriture de l'histoire dépassionnée et au moins non partisane, non marquée par le sceau d'un pouvoir qui voudrait toujours se donner le beau rôle, en occultant le militantisme et le sacrifice de milliers, sinon de millions d'Algériens. Car s'il faut caresser les gouvernants toujours dans le sens du poil, au détriment de la vérité historique, on risque un jour de perdre la mémoire.