Le ras-le-bol des jeunes déclassés de la banlieue française s'est exprimé par la violence ces dix derniers jours. Un remake de mai 1968 ? Sans doute pas, mais l'on est tenté d'en admettre l'analogie. A Clichy-sous-Bois, contrairement à la révolte estudiantine de 1968, il s'agit de l'émeute d'une jeunesse déclassée, celle des banlieues surpeuplées françaises, celles de cités-dortoirs où s'entassent des milliers de laissés - pour - compte de la société française, corvéables à merci. Mais c'est sans doute aussi là que réside le drame de ces cités livrées à la mal-vie et surtout grosses de tout ce qui fait la lie de la société : le banditisme, la drogue, la prostitution et, de façon générale, porteuses de toutes les violences sociales. Les tours et blocs d'habitation construits dans les années 1950/1960 pour accueillir la multitude d'émigrés qui déferlaient sur la France, n'ont pas été faits pour le confort de l'habitant, ni pour accueillir des familles, transformant une émigration de travail -dont avait besoin l'industrie française- en immigration de peuplement sans que les gouvernants y portent remède ou rectifient le tir. Ce n'est pas seulement Clichy-sous-Bois qui vit ce drame au quotidien, c'est le cas aussi des milliers de cités-dortoirs qui parsèment la France qui sont aujourd'hui des zones hors normes, devenues de fait des zones d'exclusion, ou ‘'l'autre'' est tenu à l'écart de la civilisation - au terme large- occidentale. Les quelques élites qui ont pu s'extirper de ces ghettos, à l'image du ministre beur des Affaires sociales, Azzouz Begag - impuissant jeudi face à la violence qui s'est déclenchée à Clichy- sous-Bois - ou son prédécesseur Thoria Saïfi, ne sont en réalité que l'arbre qui cache la forêt. Une forêt qu'il n'est pas toujours bon de tenter d'explorer, la politique ayant ses raisons que la raison ignore. Ainsi, face au feu qui prenait dans la banlieue parisienne, le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, loin d'essayer de calmer les esprits, a carrément mis le feu aux poudres en employant, dans une intervention aux chaînes de télévision, le mot peu approprié de «racaille» parlant des jeunes de ces cités dortoirs. Ce qui, à tout le moins, n'est guère politique. Mais M. Sarkozy, plus préoccupé par son avenir politique, et le regard fixé sur l'Elysée - et dans l'optique de brasser large-, emprunte à l'extrême droite et à son gourou, Jean Marie Le Pen, leur langage ultra pour appréhender un problème social à caractère éminemment humain. Il est évident qu'on ne solutionne pas le problème des cités surpeuplées des banlieues à coups de trique mais bien par une prise en compte et en charge réelles, en amont et en aval, des problèmes de cette sous-humanité vivant aux portes de l'opulence occidentale. De fait, la politique de l'intégration menée ces dernières années par la gauche et la droite françaises a lamentablement échoué car elle n'a jamais été sincère - ayant été juste un effet d'annonce- avec des replâtrages de circonstance qui, tout en laissant les problèmes posés par les cités-ghettos en état au long de ces années, a exacerbé des conditions de vie misérables, minées de surcroît par la promiscuité et, par-dessus tout, par la violence sécuritaire des agents de l'Etat. C'est justement en fuyant ces agents de l'Etat (les CRS) que deux jeunes de 14 et de 16 ans (un Malien et un Tunisien) sont morts électrocutés déclenchant des émeutes dans le département de la Seine-Saint Denis et plus singulièrement à Clichy-sous-Bois. La peur du gendarme peu en effet avoir l'effet contraire de celui attendu. Si effectivement ces cités- dortoirs des banlieues des grandes villes françaises sont devenues les réservoirs de tous les vices et violences, c'est bien du fait de l'exclusion dont est victime la population de ces ghettos. En fait, les gouvernements successifs français des ces dernières décennies n'ont jamais eu la volonté politique de socialiser ces banlieues afin de les intégrer dans le tissu social français, ce qui est le moyen le plus sûr de fondre dans la société ces laissés-pour compte- tiraillés entre leur identité d'origine et la culture de leur pays d'adoption. Rien de tel n'a été fait et la problématique des cités de banlieues a toujours été prise en compte par le pouvoir français sous le seul angle sécuritaire. Et le résultat est aujourd'hui là : des jeunes déclassés s'adonnant à la violence, unique mode d'expression par lequel ils espèrent se faire entendre par un pouvoir qui, tout au long de ces années, a pratiqué la politique de l'autisme s'ingéniant à ravaler la façade sans pour autant s'attaquer aux problèmes de fond: redonner à ces émigrés -dont nombreux sont des Français de la seconde et troisième générations- des raisons d'espérer dans un pays et dans un Etat pour lesquels leurs parents se sont coupés de leurs racines, de leur culture et de leur identité. C'est bien la France coloniale qui a introduit, au début du XXe siècle, cette force de travail dont son industrie avait alors besoin. Et c'est la descendance de ces «déplacés» malgré eux -en majorité des Africains et des Maghrébins- qui fait face aujourd'hui au racisme et à la xénophobie d'une France repue qui n'a pas su avoir la reconnaissance qui sied envers les héritiers de générations d'Africains et de Maghrébins qui ont participé à relever et à reconstruire une France mise à mal par deux guerres mondiales. Il faut aussi savoir regarder derrière soi et tirer les enseignements de ses actions passées. L'émigration avec son intégration est un problème français créé par la France coloniale. Aux gouvernants français d'assumer le passé de la France. Ce qui n'a pas semblé être la préoccupation majeure de M.Sarkozy qui a déjà l'esprit en 2007, échéance de l'élection présidentielle française.