Soixante pour cent des Américains doutent aujourd'hui des motivations ayant justifié la guerre en Irak. Comme un retour de manivelle, chaque jour apporte son lot de démentis aux assertions de l'administration Bush pour justifier l'invasion de l'Irak et la guerre qui s'en est suivie. Des affirmations comme la possession par l'Irak d'armes de destruction massive, l'implication de ce pays dans les attentats anti-américains du 11 septembre 2001 ou les liens qu'aurait eu (le régime de) Saddam Hussein avec Al Qaîda, se dissolvent chaque jour un peu plus mettant en porte-à-faux les déclarations des responsables américains et un peu plus mal à l'aise et sur la défensive une administration Bush en manque manifeste d'arguments -singulièrement aux yeux des Américains- pour expliquer une guerre qui rappelle par de nombreux points le syndrome vietnamien. Ainsi, l'administration républicaine avait à maintes reprises assuré -avant l'invasion de l'Irak le 19 mars 2003- que ce pays possédait des armes de destruction massive, armes qui n'ont jamais été trouvées, et que le régime de Saddam Hussein était lié au réseau terroriste Al Qaîda. Sur ce point, une commission indépendante sur les attentats du 11 septembre 2001 a désavoué ces allégations, démentant tout lien entre la nébuleuse islamiste et le régime du Baas. De fait, à défaut d'accuser George W. Bush de malhonnêteté, le nombre d'Américains qui estiment que le président ne leur a pas dit toute la vérité sur l'Irak, ne cesse de s'élargir. En fait, la popularité du président Bush est en chute libre ces dernières semaines tant du fait de l'imbroglio qui entoure les conditions dans lesquelles la guerre s'est enclenchée que du nombre, en constante évolution, de soldats américains qui trouvent la mort en Irak. Selon un sondage diffusé mardi dernier par la chaîne d'information en continue CNN et le quotidien USA Today, 60% des Américains estiment aujourd'hui que la guerre (en Irak) n'était pas justifiée. En fait, le président Bush se trouve, à peu de choses près, dans la même situation de désaveu qu'a connue le président Richard Nixon au moment de la guerre du Vietnam. Les sondages actuels l'attestent : en termes d'impopularité, George W.Bush vient juste derrière Nixon au terme de sa cinquième année de mandat. De fait, la contestation de la guerre et, singulièrement, de l'engagement direct américain - des militaires américains de plus en plus nombreux se font tuer chaque jour- semble faire tache d'huile y compris dans les rangs du Congrès où même des républicains, qui commencent à douter, se sont associés aux démocrates pour exiger que l'administration présente une « stratégie » -dans la perspective du rapatriement des 140.000 soldats américains présents en Irak-. C'est ainsi que le Sénat, quoique dominé par le parti du président, a sommé M.Bush de présenter une politique (de retrait). Ce que conteste l'administration Bush qui se refuse à établir un calendrier ou de fixer une date butoir. Ce sont les démocrates qui ont déclenché les hostilités en exigeant du président Bush qu'il s'explique sur ses «mensonges» sur la guerre en Irak. Pour se défendre, le président Bush a accusé les démocrates de «vouloir réécrire l'histoire». Revenant sur ses déclarations de mardi, le président Bush a encore dénoncé jeudi à Pusan (en Corée du Sud où il participe au sommet de l'Apec) les critiques des démocrates indiquant: «Je m'attends à des critiques mais quand les démocrates disent que j'ai délibérément fourvoyé le Congrès et la population, c'est irresponsable.» De fait, ce ne sont pas seulement deux conceptions de la gestion des affaires des Etats-Unis qui s'affrontent dans la polémique qui oppose l'administration Bush aux démocrates, mais bien le fait de savoir jusqu'où un gouvernement, aussi puissant soit-il, peut -ou ne peut pas- aller. Et ce ne sont pas les scandales autour de la torture des prisonniers et l'existence de prisons secrètes de la CIA qui vont apaiser le climat qui prévaut aux Etats-Unis, où citoyens et hommes politiques veulent comprendre une politique qui est en train de mener Washington à l'impasse. Mais c'est encore un ancien directeur de la CIA, qui a dirigé la centrale de renseignement dans les années 70, l'amiral Stansfield Turner, qui enfonce le clou en accusant directement le vice-président américain, Dick Cheney, d'avoir couvert de son autorité la torture, d'avoir contrôlé la politique de supplice de suspects terroristes et «d'avoir porté atteinte à l'image de la nation», dans une interview à la télévision britannique ITV. Dans sa déclaration, M.Turner a indiqué: «Nous avons franchi la frontière pour pénétrer sur un dangereux terrain.» L'ancien responsable de la CIA aura ces mots très durs envers le numéro deux de l'administration Bush: «Je suis gêné que les Etats-Unis aient un vice-président favorable à la torture. Je pense que c'est tout simplement condamnable. Lui (M.Cheney) plaide pour la torture, qu'est-ce que c'est d'autre? Je ne comprends tout simplement pas comment un homme se trouvant à ce poste peut avoir une telle attitude.» Certes, le président américain, George W.Bush, de même que de hauts responsables de son administration, ont régulièrement nié que des prisonniers suspectés d'appartenir au réseau terroriste Al Qaîda aient été torturés (en vue de l'obtention d'informations), mais les déclarations d'anciens prisonniers, notamment ceux d'Abou Ghraïeb, la sinistre prison de Baghdad et celles d'autres témoignages confirment quelque part cette pratique systématique de la torture dans les prisons (souvent secrètes) sous tutelle américaine, notamment celles de Guantanamo, (enclave américaine à Cuba) en Irak et en Afghanistan. De fait, en décidant d'envahir l'Irak pour des raisons autres que celles constamment évoquées -qui restent le contrôle des immenses gisements d'or noir et de gaz irakiens- le président George W.Bush a bel et bien ouvert une boîte de Pandore dont les clés lui échappent de plus en plus alors que son administration est aujourd'hui rattrapée par les scandales induits par une guerre que l'opinion mondiale unanime a estimé, hier et encore plus aujourd'hui, injustifiée et les arguments l'ayant déclenchée infondés.