En le lisant, Molière se serait certainement inspiré tandis que Voltaire, lui, aurait tenté de recoudre l'hymen déchiré de sa langue-mère violée et violentée par un séducteur récalcitrant, un Don Juan algérien. Kateb Yacine risqua cette maxime: «la langue française, on ne la caresse pas, on la viole». Quelques années plus tard, Abderrahmane Lounès poussa cette témérité un peu loin: «je ne me sens pas esclave de la langue française. On dit que les arabes veulent violer les femmes, moi, je viole la langue française, parce que je n'ai pas trouvé de française à violer, donc on viole la langue française en attendant mieux». Le ton est donné. Abderrahmane Lounès en un formidable mélange prosaico-poétique, réinvente le français. En le lisant, Molière se serait certainement inspiré tandis que Voltaire, lui, aurait tenté de recoudre l'hymen déchiré de sa langue-mère violée et violentée par un séducteur récalcitrant, un Don Juan algérien. Il est un «phénomène social» pour Kateb Yacine, un «Villon de la ville» pour Fellag ou « auteur étonnant, originel, débordant d'invention » pour les américains. C'est que Abderrahmane Lounès remet en cause tout l'ordre établi. Il met au pied du mur aussi bien les lois sociales que grammaticales. Enfant de la guerre et de l'été qui aime répandre la paix et le printemps, Lounès est né le 30 juillet 1952 dans la Casbah d'Alger. Il a vécu son enfance en pleine guerre. «Cette guerre qui m'avait happé alors que j'étais enfant, ne devait pas lâcher sitôt sa proie, comme la misère et l'ignorance d'ailleurs», écrit-il dans Rass El Mehna, roman publié en 1991 aux éditions ENAL. Rien n'échappe à son sens de répartie, ni à sa langue de vipère, y compris sa propre personne. «...Si j'étais né sans histoire quelques années avant le déclenchement de la guerre de Libération nationale, ce n'est pas la faute de ma mère. (...) même que j'étais heureux que mon père m'ait conçu avant le début de la guerre d'Algérie, comme ça au moins, j'aurais toutes les excuses possibles pour justifier mes futurs échecs». Les gens diraient: «il ne faut pas lui en vouloir, le pauvre petit, il a toujours souffert, c'est un enfant de la guerre». Et l'enfant de la guerre devient un pickpocket, pardon un «pickpoète». Mais la règle veut qu'on ne devient pas poète mais on l'est. Etant donné que le don et le talent n'existent pas mais ils le sont, pour paraphraser le philosophe danois Kierkegaard. Au commencement, c'était le vers...puis la lucidité donna le ton au poème. Et le «savoir-flair» accoucha de la mélodie qui, à son tour, donne un «coup de point» aux impotents, imposteurs. Accordons-leur un peu de crédit, à ces «polis p'tits chiens». Les initiés à la poésie lounèsienne comprendront d'eux-mêmes, tandis que les profanes souhaitant comprendre, par Les polis p'tits chiens, à comprendre les politiciens. Nul (le) n'échappe à la satirique de Lounès et que ceux qui se sentent morveux se mouchent. Mais c'est pourquoi l'humour, pourquoi la satire? «L'humour c'est une pilule dorée qui fait presque avaler tout. Certains la digèrent rapidement, d'autres à retardement (...) l'humour, (...) c'est une façon de traiter gravement des choses légères et légèrement des choses graves(...)...l'humour est une arme blanche froide qui rate rarement son but». En poésie comme en prose mais aussi au théâtre, Abderrahmane Lounès fait preuve d'un talent «extra et ordinaire». La preuve? En avez-vous besoin? Bon, nous vous la donnons tout de suite: le grand humoriste Mohamed Fellag doit son premier succès sur les planches à Lounès. C'est ce dernier même qui lui a écrit le texte. Cela vous suffit. En sus, comme tout algérien qui se respecte, notre poète puise son inspiration de la rue, du peuple. Il la cueille toute brute, il la mâche, la façonne, lui donne une tête, un coeur et un corps avant de la rendre au peuple toute crue et toute chaude. Et c'est lui-même qui le confirme: «Ma poésie est mariée avec le peuple et jamais ne divorcera même s'il la trompe/... la répudie...elle crache sur le papier les mots interdits», écrit-il dans Poèmes à coup de poing et à coup de pied (SNED, 1981). Ce recueil a été écrit pendant l'adolescence. Il s'agit de 99 poésies écrites pendant 12 ans. Il est composé de 6 parties inégalement développées: Les birmandresiennes, Plaidoyer pour un soleil captif, Soucieux-logue et vous saviez, Amours, Poètes qui connaît votre malheurs? et De quoi s'«humourir» de rire. Outre l'oeuvre citée, Abderrahmane Lounès a écrit une quinzaine d'autres livres, entre recueils de poésie et romans; on cite ici Chroniques d'un couple ou la Birmandresienne (SNED, 1982), Le droguéérillero sur la place d'Alger (Laphomic, 1984), Noces de cendres (Laphomic, 1988), Satire à vue (ENAL ,1991) Les polis p'tis chiens... C'était donc en quelques lignes la vie de celui que se moque de l'existence: «il faut prendre la vie comme une blague et rire d'elle, sinon c'est elle qui vous prendra et rira de vous». Sacré Lounès!