Premier candidat déclaré à la présidentielle du 18 avril dernier, qui a été reportée, premier candidat partant pour la présidentielle du 4 juillet prochain, Ali Ghediri refuse de battre en retraite. De la témérité? Possible, mais aussi parce que cet impavide général souriant au regard flambant et à l'intelligence agile est plein d'infinies ressources et de sagacité. Avec adresse, il nous explique dans cette interview, les raisons de sa fermeté à aller aux urnes qui, à ses yeux sont la seule solution radicale pour se défaire de ce système décrié par la rue. L'Expression: La date de l'élection présidentielle vient d'être fixée au 4 juillet prochain. Êtes-vous toujours partant? Ali Ghediri: Evidemment je vais me présenter au rendez-vous du 4 juillet prochain d'autant plus que mon dossier est déjà au Conseil constitutionnel. Je considère que la manière avec laquelle a été annulée l'élection présidentielle comme le considèrent tous les hommes de droit, était frappée du saut de l'illégalité. Le président du Conseil de la nation, Abdelkader Bensalah, assume de fait le poste de chef de l'Etat pour une durée de 90 jours au maximum comme le stipule la Constitution. Comment avez-vous accueilli cette annonce, par ailleurs, prévisible? Moi j'étais parmi les premiers à appeler à ce qu'on respecte ce que prévoit le texte fondamental, la Loi fondamentale, la Constitution, donc je ne peux que m'en réjouir. Pourquoi j'ai tenu et j'ai défendu cette thèse-là, à ce qu'on s'en tienne aux dispositions constitutionnelles? Parce que j'estime que c'est le meilleur moyen d'éviter les déperditions, les débordements, et c'est le chemin le plus court, avant de nous permettre d'arriver à une élection qui, elle, pourrait déboucher sur une solution parraine pour le pays. Moi, je ne me focalise pas sur la personne. Mais pour l'instant, elles ne sont pas identifiées? C'est le message que renvoient ces gens-là. Si on est rationnel, si on est légaliste et si on a à coeur de voir les choses évoluer dans le bon sens, on doit mettre de côté ces desseins personnels et placer l'intérêt collectif et l'intérêt du pays en premier. En toute objectivité, le président de l'Etat est circonscrit constitutionnellement à assurer la continuité de l'Etat sans d'autres prérogatives essentielles qui sont celles du président de la République élu au suffrage universel. Ceci est un premier point. Le deuxième point, est le fait que je ressens ce que ressent la rue, ce que ressent le peuple qui veut en découdre avec tous les symboles du pouvoir. Ce n'est pas tant la personne de Bensalah qui pose problème, ce sont ses capacités de nuisance en ce sens, que le peuple pense qu'il est en mesure de nuire au processus engagé. Moi je reste convaincu que M. Bensalah qui ne détient sa force que de son rapprochement de Bouteflika n'a, en tant que personne, aucune force de nuisance. Ce qui est valable pour Bensalah est valable pour Belaïz est valable pour Bedoui, et est valable pour tant d'autres. Ils ne tiraient leur puissance que de leur proximité avec le pouvoir. Le fait qu'il soit désigné à la tête de l'Etat pour 90 jours, objectivement, ne peut, en aucune manière nuire au processus. Ceci étant dit, s'il devait constituer un écueil ou un obstacle à même de déliter le fleuve de cette belle révolution que le peuple algérien a voulue, eh bien, qu'on le sacrifie. On le sacrifie pour le bien de cette nation, pour le bien de ce pays et qu'on sacrifie! La légalité au profit du bien commun. L'armée est dans le débat politique, mais vous n'ignorez pas que chaque fois qu'elle s'est immiscée dans ces affaires, ça a toujours mal fini et les expériences algériennes sont là... L'armée s'est immiscée en 1992 dans le débat politique et s'immisce maintenant par défaut, parce qu'aucune institution républicaine n'est capable de le faire. Toutes les institutions sont illégitimes parce qu'elle ne sont pas représentatives du peuple. Si vous me dites le contraire je poserai la question: est-ce que le FLN, le RND, le MPA et TAJ sont représentatifs du peuple algérien? Evidemment non. La preuve est que c'est toute la rue qui les rejette. L'armée s'est retrouvée, donc, obligée d'intervenir de manière à accompagner, il faut le souligner, un processus. Avec ce qui se passe dans la rue, son commandement n'est pas sans comprendre que cet accompagnement ne doit pas trop durer, au risque d'attenter à sa propre crédibilité et d'attenter à la stabilité générale du pays. Ce sera un accompagnement de courte durée. S'il fallait une preuve, c'est l'insistance du chef d'état-major sur le fait de nous en tenir aux dispositions que prévoit la Constitution, notamment la durée de la transition qui est de 90 jours. Et le chef de l'Etat par intérim, Abdelkader Bensalah, l'a souligné dans son discours avec insistante. Cela veut dire que tout le monde est conscient qu'il faut au plus vite revenir à la légalité. Maintenant, il appartient au nouveau président de siffler la fin du match et de mettre en place les mécanismes pérennes pour que chaque institution puisse jouer le rôle qui est le sien, y compris l'armée. Je profite pour vous dire, et c'est un élément et argument de ma campagne que seul un général est à même de remettre l'armée dans les casernes. Je ne suis pas en train de courtiser l'armée pour qu'elle me coopte. Moi, j'ai eu le courage d'affronter le pouvoir alors qu'il était dans son apogée. Au moment où tout le monde applaudissait l'option du cinquième mandat. J'étais le seul candidat qui disait clairement que je parle en tant que candidat avec ou sans Bouteflika. J'étais le seul candidat à avoir dit: «Ce sera moi ou le système.» Car je suis décidé à en découdre avec la cooptation institutionnelle. Je suis, par contre, pour la cooptation populaire. Que le peuple me coopte, je ne peux que m'en féliciter. Mais qu'une institution, peu importe laquelle, y compris l'armée, me coopte, ne me réjouit pas. Si le peuple me choisit en tant que président, je ferai en sorte pour que l'armée rejoigne définitivement la caserne. C'est un élément de la rupture. Tout pays est le produit de son histoire et l'immixtion de l'armée dans le politique est un des legs de notre histoire. Pour revenir au mouvement Hirak, On remarque qu' il y a un flou sur la corruption et les détournements financiers. A votre avis, cela ne participe-t-il pas à la consolidation de l'Etat de non-droit, de militariste qui a servi depuis l'indépendance? Vous dites Hirak, et moi je l'appelle révolution. Dire Hirak, c'est minorer ce qui est en train de se passer. On a intérêt, en tant qu'élite de ce peuple, à majorer ce qui est en train de se faire. Parce que dans l'Historie de ce pays, il y a eu une révolution libératrice qui a été l'une des plus grandes du siècle dernier. Ce Hirak est en train de prendre les dimensions d'une véritable révolution pacifique sans sang, appelant à un changement radical qui pourrait être en mesure d'être suivi par d'autres pays et devenir un exemple par la sphère qui est la notre, arabo-africo-islamique. Donnons à ce mouvement le concept qui lui sied, celui de révolution. Pour qu'elle le soit, il faudrait qu'elle continue à être ce qu'elle avait été, à savoir une révolution pacifique. Elle a mis à terre un régime qui était appelé à se pérenniser. Pour la corruption, c'est un des aspects les plus négatifs de ceux qu'a laissés le système Bouteflika. Toute stratégie doit reposer sur quelque chose de fondamentale. Dans la stratégie de Bouteflika, c'est la corruption, il a corrompu tout le monde par le clientélisme, la rente et le populisme... la corruption est attentatoire à la Sécurité nationale. Si on arrive à brader notre pétrole pour recevoir des pots-de-vin en millions de dollars, si on fait de notre marché un déversoir de toc qui tue nos concitoyens. Prenez l'exemple des chauffages à gaz qui, chaque année, tuent des centaines d'Algériens. La corruption a des incidences dans tous les domaines: moral, religieux et sécuritaire. J'insiste sur la Sécurité nationale. Au sujet de la femme, le Code de la famille et la parité. Quelles sont vos propositions et votre position sur cette question, qui fera l'objet d'un débat très âpre? Ce serait vraiment un anachronisme que de ne pas intégrer cette question dans tout projet de société qu'on aurait à proposer au peuple algérien. Comment voulez-vous qu'on fasse l'impasse sur 60% de la population? Elle doit être intégrée dans toutes les démarches. C'est une question épineuse parce qu'elle heurte des sensibilités et pourrait être utilisée pour faire prévaloir d'autres thèses qui ne vont pas forcément dans le sens du progrès. La femme doit avoir la place qui lui revient de droit tout en respectant nos valeurs et nos croyances. Je suis pour la liberté de la femme et pour lui donner la place qui est la sienne, moi qui ai une épouse et deux filles. Cependant, il faut éviter que cette question soit instrumentalisée à des fins politiques ou autres, en la posant au peuple algérien par référendum, notamment le Code de la famille. Si le peuple l'accepte tel qu'il est, on fera avec, étant donné qu'il s'agit d'une démocratie, qui doit être appliquée partout. La justice, un autre dossier capital. Comment allez-vous aborder ce gros chantier? Il faudrait arriver à équilibrer les pouvoirs et les séparer, et le pouvoir judiciaire en est un. Fatalement, nous allons commencer par le haut. Il faudrait que le Conseil supérieur de la magistrature soit indépendant de l'Exécutif. Je ne vois pas pourquoi le président de la République doit être le président du Conseil supérieur de la magistrature. Cette autorité doit être indépendante avec un président élu par ses pairs. Un peu plus bas, il faudrait opérer des réformes dans les tribunaux et les cours. La question de la désignation soit réglée. Que les magistrats du siège, soient des juges, les magistrats du parquet soient des procureurs. En l'état actuel des choses tout le monde est désigné par l'Exécutif. Il faut qu'il y ait une séparation, au minimum il faudrait que la partie civile soit désigné, par l'Exécutif, mais on laisse au Conseil supérieur de la magistrature la désignation des magistrats du siège. Il doit y avoir d'autres changements, à savoir la révision du Code pénal, du Code civil etc. Il y a un profond travail si on veut bâtir un Etat de droit. On doit adapter les textes pour permettre aux citoyens de croire en l'acte de la justice et rétablir la crédibilité de la justice. Pour résumer, il y a des décisions politiques, la séparation des pouvoirs, et des aspects techniques à savoir les différents codes qui régissent la justice. Si demain vous deviendrez président, allez-vous supprimer certains privilèges dont jouissent les hauts cadres de l'Etat? On pense notamment à la résidence de Club des pins. Personnellement j'habite un immeuble et je n'ai nullement l'intention de quitter mon appartement quand bien même je serai élu président. A fortiori si moi je resterai dans mon appartement, pourquoi voulez-vous qu'ils quittent leurs appartements pour aller crécher à Club des pins? Les raisons qui ont prévalu pour cette situation exceptionnelle n'existent plus.