C'est à 36 ans qu'il apprend que son père, dont il ignorait tout, était un ouvrier algérien... Une nouvelle page vient, en effet, d'être tournée dans son existence. Depuis qu'il sait d'où il vient, le comédien français Daniel Prévost, ce drôle de coco, est aujourd'hui un homme heureux... Ses racines enfin retrouvées - tardivement - lui ont donné raison de son rire ravageur qui cache mal au fond une certaine fragilité avérée. Un rire jugulé, étouffé qui se termine par un long sifflement. Bref qui ne laisse personne indifférent. Une manière peut-être pour ce déraciné «maghrébin» de se singulariser, lui qui se démarquait déjà des autres par la méconnaissance de ses origines. Un rire qui trahit, en fait, l'hypersensibilité, celle d'un artiste à part entière. Un humoriste déjanté qui a gagné à créer, selon un autre humoriste, Dieudonné, «un genre très rare. C'est un des acteurs les plus libres que je connaisse», et Prévost de préciser: «Ce rire-là est calculateur. Je réfléchis tout le temps sur la manière de pousser la déconne à son paroxysme pour entraîner le public dans un fou rire, avant de me reprendre. Car, attention, faire du n'importe quoi, n'est pas seulement un don, c'est beaucoup de travail.» Aujourd'hui, Daniel, le Kabyle, a 62 ans. Né à Garches, l'humoriste a grandi à Vincennes et à Belleville. Après des études plus au moins médiocres, il commence à collectionner les petits boulots, notamment comme employé dans une compagnie d'assurances où il ne fera pas long feu. Aux éditions Albin Michel, il restera tout de même trois mois, par amour du livre. Après s'être inscrit à un cours de théâtre, offert gratuitement par la marie du 10e arrondissement, c'est trois ans de conservatoire d'art dramatique qu'il passera à l'issue duquel il campera souvent - lorsqu'il a la possibilité de jouer - des seconds rôles «du mec amer». «Le monde du spectacle reproduit les schémas de la société: d'un côté, les maîtres, de l'autre, les domestiques. Comme je n'ai rien d'un bellâtre, j'étais abonné aux rôles de valet.» Sa filmographie compte aujourd'hui une soixantaine de longs métrages dont il se plaît à se rappeler: Liberté, égalité, choucroute, Y a un os dans la moulinette, Mon curé chez les Thaïlandaises ou plus récemment Dîner de cons grâce auquel il obtint un César. C'est sa rencontre décisive avec Michel Serrault et Jean Yanne qui lui ouvre, au tout début de sa carrière, les portes de la comédie. Ces derniers ont été ses deux partenaires dans Un certain M. Blot. Jean Yanne fera appel à lui pour raconter des gags sur RTL. «Pendant longtemps, il refusait les tournées pour ne pas s'éloigner de nous», raconte Yette, son épouse depuis trente-sept ans, qui est entrée, au bon moment, dans la vie de Daniel. Ils se sont connus dans un festival de théâtre, à Esseneur. Il jouait Le malade imaginaire. Il avait 22 ans et elle 16 ans. Elle suivait des cours de danse classique à Copenhague. Pendant longtemps, ils gardèrent le contact par correspondance. Yette vient à Paris. Elle était une jeune fille au pair. Puis ils se marièrent, eurent trois garçons et ensuite des petits-enfants... le comble du bonheur. Après une enfance bridée, la rencontre avec Yette constituera une espèce de libération pour Daniel, une bouffée d'oxygène avant d'amorcer ce nouveau virage qui marquera à tout jamais son existence. Prévost a eu également la chance de tourner avec les réalisateurs Jacques Doillon, Raoul Ruiz (L'oeil qui ment) Claude Berri (Uranus). Avec son air malin et son regard «halluciné», Prévost aura fait les beaux jours du Petit rapporteur, l'émission culte de Jacques Martin. Cela lui a valu de se mettre facilement dans la peau d'un fou et d'un hystérique, un peu décalé. «C'est beaucoup de travail», précise toujours Daniel et ce travail sur soi et ses origines lui ont demandé plusieurs années avant de connaître sa véritable identité. C'est une vieille tante, alors qu'il avait 36 ans, qui lui révéla que son père était un ouvrier algérien. Surpris, pourtant il lui faudra attendre une dizaine d'années avant de presser sa marraine de lui souffler le nom de son père. Un travail de recherche qui le mènera à retrouver certains de ses parents parmi la communauté kabyle de Saint-Denis notamment Mahmoud, un de ses lointains cousins qui lui apprend que son père est décédé en 1952. Il fait connaissance de Da Youssef qu'il considère d'emblée comme le père qu'il aurait souhaité avoir. Prévost développera à ce moment un intérêt certain pour tout ce qui touche à la culture berbère. Il apprend même la langue. Une histoire d'amour est décidément née. «Ces parents dont j'ignorais l'existence, m'ont ouvert les bras comme on recueille un pauvre chien perdu, avec un sens de la solidarité bouleversant.» En 1993, Daniel Prévost entreprend d'effectuer un retour aux sources, sur la terre de ses ancêtres. Pour exorciser ses peurs et ce tabou du «non-dit» il va pondre plusieurs livres: Coco Belles nattes (1985), Le pont de la révolte (1995) et Le passé sous silence (1998) édité chez Denoël. Trois livres à travers lesquels Prévost témoigne du chamboulement de sa vie et de son «ébranlement» intérieur. Cela va lui permettre dorénavant de ne plus se sentir seul: «Je me croyais unique dans ma détresse, mais avec mes bouquins, j'ai reçu plein de lettres de gens qui ont vécu des drames comparables.» Prévost a su se débarrasser aujourd'hui du lourd fardeau qui lui pesait sur les épaules, de cette souffrance qui le hantait : de ne pas savoir d'où il vient. Désormais, c'est chose faite. L'acteur, qui s'est réconcilié enfin avec lui-même, n'a plus besoin qu'on reconnaisse son talent. «J'ai cessé d'être rebelle à l'extérieur pour le rester à l'intérieur», souligne tout de même le hâbleur à fleur de peau.