Au bord d'une plage cannoise. Le comédien humoriste français d'origine marocaine, nous livre ici ses impressions sur sa participation au dernier film de Rachid Bouchareb Hors-la-loi et confie ses projets, désirs et objectifs entre deux boutades, avec un sourire espiègle et intelligence. Sous un soleil radieux, Jamel Debbouze a bien voulu nous accorder une interview collective, pour quatre journalistes, Le timing est serré! Petit par la taille, mais grand par le talent et la tchatche. Il s'était même distingué lors de la conférence de presse du film Hors-la-loi avec ses «sorties» rocambolesques. Du genre «confidence pour confidence, moi aussi je me suis fait violer par Roman Polanski quand j'avais 16 ans!». Explosion de rire dans la salle. Mais ce joyeux luron sait devenir sérieux quand cela vaut la peine. A l'instar de son personnage Saïd dans Hors-la-loi, Jamel Debbouze est un homme d'affaires redoutable qui porte plusieurs casquettes avec une aisance incroyable. Outre la scène, Jamel varie les rôles sur le grand écran, entre émotion et fou rire garantis. Ses atouts? Une volonté farouche et un courage à toute épreuve. L'Expression: Que vous a inspiré cette polémique qui a entouré le film Hors-la-loi de Rachid Bouchareb où vous interprétez le rôle de Saïd? Jamel Debbouze: Comme disait Pascal Blachard, c'est naturel et c'est dans l'ordre des choses. Pour moi tout ça est complètement naturel. Il a fallu tout ce temps pour pouvoir sortir de cet espèce de marasme que l'on nous a imposé. On a mis plus de temps à s'attaquer aux Italiens et aux Polonais parce que nous sommes musulmans. Depuis qu'on est nés on se bagarre. Il faut l'accepter sans condescendance.. On est d'accord; c'est la réalité avec laquelle on compose. Mais on progresse. Fondamentalement, la France est un pays d'accueil. Quand je dis on n'a pas cessé de se battre depuis qu'on est à l'école primaire sous prétexte que nous ne sommes pas français, cela veut dire qu'on était obligés d'en faire beaucoup plus. Sur un terrain de foot, etc. Partout on était obligés de faire davantage d'effort. Quand on fait Hors-la-loi on se bat pour la recherche de financement jusqu'à la montée des marches. Quand vous voyez Rachid Bouchareb, Jamel Debbouze, Rochdy Zem et Samy Bouajila chercher des financements c'est vraiment la «Qaîda Cinema»! Tu prends la filmographie de Rachid Bouchareb ou celle de Samy Bouadjila qui a commencé je crois en 1991, Roshdy en 1985 avec je ne sais plus quel film, mais entre leur premier et leur dernier film, ils répondent aux mêmes questions et se justifient de la même manière. Cela fait 20 ans que ça continue. Jusqu'à quand? On ne sait pas. On contribue à ce que cela s'arrête. Avec ce genre de film, on veut y mettre fin. Le racisme, j'en suis sûr, il va régresser. Et laisser place au seul débat: les riches et les pauvres. La couleur n'a plus cours, ça progresse, voyez Obama à la Maison-Blanche! Croyez-vous qu'il y a aujourd'hui plus de comédiens d'origine maghrébine dans le cinéma et que cela se démocratise? Oui, bien sûr. Aux derniers Césars, ce sont des personnes d'origine maghrébine qui ont été distinguées. Adjani a remporté le prix de la meilleure interprétation féminine puis un comédien, Tahar Rahim, avec un doublé dans le film Prophète et enfin le scénariste Abdelraouf Dafri, le César de la meilleure adaptation avec Mesrine. Oui et bien d'autres comme Rachid Bouchareb, Rochdy Zem, Jamel Debbouze, Sami Nasseri qui se bat toujours, on a une pensée pour lui. Il ne pouvait pas faire le film. Il était diminué à ce moment-là, on aurait adoré qu'il soit dans l'équipe. Il est dans nos têtes et dans nos coeurs. On a maintenant un outil, des cinéastes qui connaissent le métier, des ingénieurs de son etc. On peut faire avec ça un United du Maghreb. Rachid s'ouvre aux comédiens d'origine maghrébine. Il s'acharne à les rassembler. Nous, on est dans un autre monde. On ne vient pas de la même frustration. Un jour, je sais que je ferai un United. Au-delà d'être maghrébin, c'est le talent qui primera, j'en suis convaincu, parce que le talent rapporte de l'argent. Rachid Bouchareb a fait appel à plusieurs acteurs venus d'horizons divers, certes des Maghrébins, pour évoquer l'Algérie, mais on a senti une certaine incohérence au niveau de la langue parlée par les comédiens dans Hors-la-loi, qui n'est pas très algérienne... On s'en fout de ça. Les Anglais, les Espagnols, les Français s'en foutent de ça. Mais on espère que les gens de chez nous ne soient pas critiques, voire moins critiques. El Hamdoulah, aujourd'hui on a une chance inouïe. On peut imposer notre vision des choses. On n'est pas des imbéciles. On va proposer des choses qui sont constructives pour tout le monde. Moi je fais de la comédie. Si Rachid m'avait écouté et qu'on avait fait de Indigènes une comédie, on aurait fait 19 milliards d'entrées! Parce que des Arabes face à des Allemands qui ne savent pas tenir une mitraillette et puis dès qu'on dégaine, ils jettent les mitraillettes et ils se sauvent...La Neuvième compagnie de Louis de Funès et Bourvil l'ont fait de cette manière-là et ils sont entrés dans le coeur des grands. Ça reste aussi une référence, c'est d'ailleurs le film qui a été le plus vu. Ce n'est pas anodin. Les plus grandes comédies sont basées sur une dramaturgie. La Guerre mondiale y a rien de plus terrible et être drôle avec ça, ce serait une performance. Un mot sur Rachid Bouchareb? Il fait tout ce qu'il dit. C'est dommage qu'il soit devant moi car je me serai étalé davantage. Dans sa tête il peut tout faire. Sans complexe. Il est flippant, il a des démons comme tout le monde, mais il lutte d'une manière admirable. On a l'impression que le temps n'a pas de prise sur lui. Sa phrase est «maâlich on y arrivera, c'est sûr». Ce sont des phrases qui sont motivantes. Et je sais qu'il les pense. S'il n'est pas encore parti pour faire le film sur l'Emir Abdelkader, je ne veux pas répondre à sa place, mais je crois qu'il voudra bien le réaliser à condition d'être sûr de faire mieux que Laurence d'Arabie. Quels sont vos projets? Je vais tourner dans le prochain film d'Alain Chabat, Marcieu Pelami. Le 15 septembre je pars au Mexique. Si l'occasion se présente, évidemment que je viendrai en Algérie. Je produis en ce moment avec un comique algérien qui s'appelle Abdelkader Secteur qui est une bombe atomique. Quoi qu'il arrive je suis lié à l'Algérie. Si je peux, je viendrai le 21 septembre défendre le film de Rachid Bouchareb. Comment a atterri votre protégé Abdelkader Secteur justement dans ce film? Rachid a un oeil et une oreille pour déceler les talents, je n'ai pas eu à le convaincre.