Après Vivre au Paradis sorti en 1998, le réalisateur revient avec un conte tourné au Maroc... Réalisateur français d'origine algérienne, Bourlem Guerdjou réalise en 1987 son premier court-métrage, Ring avec Franck Jean, puis Couleurs d'enfants en 1994. 1998, il réalise son premier long métrage Vivre au Paradis. C'est le premier et unique long métrage de Bourlem Guerdjou pour lequel il a reçu le Prix Cinem Avenir de la première oeuvre au Festival de Venise en 1998. Un film sur la 1re vague des émigrés en France. En 2005, il commet un conte : Zaïna, cavalière de l'Atlas, qui a été présenté récemment dans le cadre du Festival du film français d'Alger, qui s'est tenu à la salle El Mougar, du 14 au 16 décembre. Dans cet entretien, le réalisateur parle de ce film, de son rapport avec la jeune comédienne, de ses projets cinématographiques et des Maghrébins en général, a fortiori des femmes et leurs droits à l'émancipation... L'Expression: 5 ans après le film Vivre au Paradis, qui traite de la vie des immigrés dans les bidonvilles en France dans les années 60, vous vous attaquez à un autre registre, un conte. Pourquoi ce choix? Bourlem Gerdjou: Après Vivre au Paradis, j'avais envie de faire autre chose. J'avais fait un film politique, je me suis dit: c'est bien de s'orienter vers autre chose, de faire un autre film et d'aller vers le conte oriental. J'avais envie de faire un film, comme on dit, de genre. Le conte oriental ressemblait plus à mes désirs. Donc, je suis parti sur un film poétique qui raconte l'histoire de traditions arabes à travers l'élevage des chevaux. Vous avez déclaré, à propos de la jeune fille dans votre film, Zaïna, cavalière de l'Atlas, que vous vouliez un personnage charismatique qui symboliserait selon vous la femme arabe qui se rebelle contre le poids des traditions... Bien sûr. Mais j'insiste très bien sur le fait que c'est un conte et qu'à travers un conte, on peut imaginer des choses, on a l'espoir de donner aux spectateurs des envies, des signes. C'est vrai que le sens du film est l'émancipation de la femme. Zaïna a perdu sa mère, Selma, que deux hommes ont aimée, Omar et Mustapha, va retracer l'histoire de sa mère et va prendre son destin en main et son destin, c'est d'être libre au moins pour elle-même, de se dire: «Je fais ce que moi j'ai envie en tant qu'enfant et en tant que femme». Aziza Nadir, qui est marocaine, incarne le rôle de Zaïna dans le film. Comment s'est opéré le choix au niveau du casting? Le casting s'est déroulé dans un premier temps au Maroc, vu les contraintes financières, notamment. Or, au Maroc, tout le monde ne parlait que marocain et le film devait être tourné en langue française. C'est une obligation des chaînes de télé, Canal+ et France 3 actuellement, pour répondre à ceux qui veulent savoir pourquoi le film est tourné en français. Tout le casting au Maroc ne marchait pas, car toutes les filles parlaient seulement l'arabe. J'ai fait un casting en France où j'ai vu entre 500 et 600 gamines. J'en ai sélectionné 25. Aziza Nadir, on l'avait trouvée dans un collège. Elle faisait partie des 25. Tout de suite, aux premiers essais, j'ai vu qu'Aziza avait cette émotion, le feu dans les yeux, la colère et une force intérieure. Je me suis dit, maintenant il va falloir travailler avec elle. Sur les 25, j'en ai sélectionné deux. Il ne restait plus qu'elle. Et c'est son premier rôle au cinéma. Comment s'est déroulé le travail avec cette petite adolescente? J'avais l'habitude de travailler avec les enfants. J'ai fait des courts-métrages, notamment Jour d'enfance, Couleurs d'enfants, Ring, trois courts-métrages à la fois avec des enfants et des adultes. Je m'entends bien en général avec les enfants. Ça s'est très bien passé. Aziza a du caractère. Elle est à la fois un peu gâtée et généreuse, sensible. Elle donne beaucoup de choses sur le plateau. Ce n'était pas tous les jours facile. Mais le résultat faisait qu'elle s'investissait avant tout. Elle donnait tout pour le film. Revenons à votre film Vivre au Paradis que vous avez dû faire avec beaucoup de coeur puisque vous parlez de cette vie d'Algériens malmenés dont vous êtes originaire... Oui, je l'ai fait avec du coeur. Vivre au Paradis, c'est un hommage à la première génération, aux parents arabes. Un hommage aussi à mes parents mais aussi aux Tunisiens, aux Marocains et Algériens qui sont venus travailler en France. C'est un hommage, par ailleurs, aux émigrés, aux exilés. Et je l'ai vraiment réalisé avec le coeur, parce que c'était quelque chose de très fort pour moi. Il y avait une vraie nécessité de raconter le 17 octobre 1961, qui est quand même le fond du problème où les Algériens ont été frappés et jetés à la Seine. C'était très important pour moi de raconter qu'il y a des hommes qui vivent dans l'exil, dans des conditions insalubres, dans des bidonvilles. C'était important de témoigner sur les bidonvilles cachés par la France et de dire qu'aujourd'hui, en France, dans les carnets d'école, on ne parle pas de cette période-là. C'était une nécessité et une envie très forte d'en parler. D'autant plus que c'est de l'ordre de l'actualité en France, avec notamment cette loi sur le «rôle positif de la colonisation». Pensez-vous faire un film dans ce sens? Non. Vous savez, on ne fait pas de films pour répondre forcément à des questions. Parfois, on fait des films qui sont un peu à côté et cela répond aux questions. Non, je ne pense pas faire forcément un film sur le colonialisme, je crois que je ferais encore un film différent. Peut-être un film sur ce que vit la société maghrébine actuellement en France? Le prochain film ne portera pas sur ça, mais il y a toujours des liens avec ce qu'on raconte. On retrouve toujours des faits de société. Pour l'instant, mon prochain film portera sur l'imposture. C'est l'histoire d'une fille qui veut accéder au monde de la jet-set, de la haute société et qui vient du bas, une classe sociale basse. Elle a des origines arabes, elle va mentir sur ses origines pour se faire passer pour quelqu'un d'autre. Je n'ai pas encore trouvé de titre pour le film. Dans deux ans, il sera dans les salles, au Maroc et en Algérie, Incha'Allah! Récemment, Djamel Debbouze a déclaré aux médias français que le cinéma ou la comédie l'ont sauvé et si ce n'était pas la scène, il aurait été dans la rue, en train de brûler et de casser des voitures. Et vous, alors? Je ne peux pas dire ça. Je ne pense pas forcément que je casserai les voitures. Djamel Debbouze dit ça, mais tous les gamins de banlieues ne cassent pas des voitures et ne sont pas incultes. Il y a des gens qui font des études d'ingénieur, d'autres qui font plein de choses. Peut-être que j'aurais fait partie de ces gens qui essayent aussi, à travers un autre biais, de s'en sortir autrement que de casser des voitures.