Les islamistes estiment qu'à l'orée de chaque étape de paix, le clan éradicateur fait une percée. L'entretien livré par Madani Mezrag, émir national de l'ex-Armée islamique du salut (AIS, branche armée de l'ex-FIS, ndlr) vient d'alimenter une forte polémique au sujet des années noires du terrorisme en Algérie. Mezrag, qui a été très franc et direct dans ses propos, a dit, notamment, qu'il n'avait pas «pris le maquis islamiste pour chasser le gibier», et que les morts en Algérie sont morts dans un drame commun à tous. Selon le propos que Madani nous a livré, il s'agit là de diversion de la part des partisans de la non-réconciliation, et qu'à chaque étape faite au profit d'une véritable paix en Algérie, il y en a qui manoeuvrent en sous-sol pour soulever les points de divergence et attiser les émotions dans le sens qu'ils veulent donner au cours des choses. Quant à l'article de Jeune Afrique/L'Intelligent et qui a été à la source de cette nouvelle polémique, Mezrag, connu pour son franc-parler, estime que le journaliste n'a pas été honnête à 100% et que certaines phrases ont été, sciemment ou non, déformées, triturées ou altérées. En plus, Mezrag avait parlé en langue arabe et trouve que la traduction n'a pas été à ce point précise. Dans tous ses propos, Madani Mezrag a mis l'accent sur le fait que c'est lui le premier parmi les islamistes qui a fait la paix, lorsque le mot paix avec les autorités était synonyme d'hérésie et d'apostasie et lorsque le GIA, alors au summum de sa force, condamnait à mort quiconque osait parler de paix. Mezrag rappelle aussi que c'est lui qui a signé l'arrêt unilatéral et inconditionnel des hostilités le 1er octobre 1997 et qu'il a poussé quelque 3000 hommes en armes à en faire autant, et qu'il avait proposé aux autorités de reprendre les armes, «mais pour aller combattre les sanguinaires du GIA». Le président de la République lui-même avait, lors de son premier mandat, abondamment parlé de ces «hommes de foi» qui proposaient à l'Etat leur aide et leur expérience pour venir à bout des éléments du GIA, qui étaient hostiles à toute approche de paix, en réitérant à chaque fois leur «triple non: non au dialogue, non à la trêve, non à la réconciliation avec les apostats». Lors de la campagne pour la paix et la réconciliation nationale, lancée le 14 août 2005 et qui a abouti au plébiscite du projet de Charte le 29 septembre 2005, Mezrag avait été consacré «star» de la réconciliation et avait sillonné le pays en long et en large pour porter partout le projet de Bouteflika et vanter les mérites de la réconciliation. De son côté, Abdelkader Boukhamkham, un des sept leaders du FIS élargis, lors des pourparlers pouvoir-FIS en 1994 et assignés à la résidence d'Etat de Djenane El Mufti, dit qu'il s'agit là de guerre langagière dont on pouvait faire l'économie: «Moi, j'estime que d'un côté comme de l'autre, il y a maldonne. Le temps est à la paix et il n'y a pas lieu de créer du parasitage au projet de paix et de réconciliation nationale. La paix en Algérie exige de tous des efforts, et parfois de faire l'impasse sur des sujets épineux et ultra-sensibles. Les blessures sont encore vives et il ne faut pas remuer le couteau. Cela ne veut pas dire qu'il faut oublier le passé, non. Il faut tourner la page, c'est tout. Mais si un jour, les Algériens veulent en parler, il faut alors en parler. On pourrait alors constituer une commission de sages, d'érudits, d'hommes politiques et de juristes, qui pourraient, de façon indépendante, remonter les filières, enquêter, rouvrir des dossiers et dire qui a fait quoi. Cependant, pour l'heure, j'estime que la paix doit passer en priorité. Certains propos peuvent blesser ou exacerber les tensions, et il faut les mettre de côté afin que le projet de paix puisse avancer. Il y a des choses à faire en Algérie pour la paix. Le président, seul, ne peut tout faire, et on voit chaque jour que ceux qui ne sont pas intéressés par le retour de la paix sont nombreux. Comment peut-on parler de réconciliation nationale lorsqu'Ali Benhadj croupit encore en prison? Non, soyons sérieux, il y a de profondes révisions à effectuer afin d'arriver à une paix réelle.» Le bras de fer entre Madani Mezrag et les associations des familles de disparus n'est en fait que la face visible de l'iceberg. Les enjeux qui sont en dessous sont ébouriffants et d'une exceptionnelle complexité. La lutte entre réconciliateurs et éradicateurs fait rage depuis une quinzaine d'années, et si Bouteflika a pu, un temps, en atténuer les tensions et lisser les aspérités, ce n'est pas pour autant qu'il faut céder à la facilité de croire que tout est fini entre les deux clans. En fait, les luttes de clans viennent à peine de commencer. Transposées du champ politique au chams médiatique, elles vont encore s'amplifier, s'exacerber. Ecoutez bien: on en entend déjà le bruit étouffé...