Chirac veut amener les Français à voir en face leur passé colonial avec toutes ses tares. Le Conseil constitutionnel français, saisi le 25 janvier dernier par le président Chirac au sujet de l'article 4 de loi glorifiant le colonialisme, devait rendre sa décision hier. Le chef de l'Etat français avait, rappelons-le, souhaité que cet article, à l'origine d'une brouille entre Alger et Paris, soit purement et simplement déclassé. Un voeu partagé par le président de l'Assemblée française qui a publiquement assumé cette démarche qui va à l'encontre de la volonté de la majorité des députés de droite qui avaient, le 23 février de l'année dernière, voté cette loi. L'ensemble des observateurs de la scène politique française s'attendent à ce que la réponse du Conseil constitutionnel aille dans le sens du souhait du président français qui recevait hier, à l'Elysée, le Comité pour la mémoire de l'esclavage. Loin d'être un hasard du calendrier, le geste de Chirac appelle une forte détermination à travailler en profondeur toute la société française sur la question de la mémoire commune, mais surtout pour amener les Français à voir en face leur passé colonial, avec toutes ses tares notamment. «La grandeur d'un pays, c'est d'assumer toute son histoire. Avec ses pages glorieuses, mais aussi sa part d'ombre. Notre histoire est celle d'une grande nation. Regardons-la avec fierté. Regardons-la telle qu'elle a été. C'est ainsi qu'un peuple se rassemble», a-t-il lancé à l'adresse de tous ces concitoyens. Remontant jusqu'aux racines du mal de l'humanité, à savoir l'esclavage, le président Chirac n'a pas manqué de condamner le racisme qui, faut-il le souligner, est très présent dans la fameuse loi du 23 février. «L'esclavage a nourri le racisme. C'est lorsqu'il s'est agi de justifier l'injustifiable que l'on a échafaudé des théories racistes», a déclaré Jacques Chirac. Le président de la République française a tenu à faire d'une pierre deux coups. En saisissant le Conseil constitutionnel sur la loi glorifiant la colonisation, il profite d'une belle occasion qui lui est offerte pour s'attaquer au «mal français» qui, faut-il le rappeler, a largement nourri les émeutes de banlieues qui ont fait trembler toute la France. Ainsi, la réplique d'Alger par rapport à la loi glorifiant la colonisation est en passe d'ouvrir un véritable débat de fond en France sur la conception même qu'ont les Français de leur histoire. De là à reconnaître très officiellement les crimes contre l'humanité commis par l'armée coloniale en Algérie, il n'y a qu'un pas qu'il est encore difficile de franchir. Mais, il est un fait : la réaction du président de la République sur la «cécité» de la classe politique française quant à la question du passé colonial dans ce pays a été salutaire, non seulement pour les relations futures entre les deux pays, à la veille de la signature d'un Traité d'amitié, mais également pour la France, dont la société est en passe d'ouvrir les yeux sur un passé récent pas du tout glorieux. Il est clair que les deux nations vivent un tournant historique. D'un côté, l'Algérie verra son combat et ses souffrances reconnus, de l'autre la France pourra exorciser ses démons, une bonne fois pour toutes.