Deux ans après l'incident, les blessures ne sont pas encore pansées et les images du drame restent gravées dans la mémoire des travailleurs. «J'étais juste à la sortie de la base, quand la déflagration s'est déclenchée au niveau du complexe GL1K», raconte le responsable de la sécurité au niveau de la base de Skikda, que nous avons rencontré sur les lieux deux ans après le drame. «J'allais partir en congé ce jour- là, mais le hasard a bien voulu que j'assiste pour la première fois dans ma vie, après 25 ans de service, à une telle catastrophe industrielle», poursuit-il, en retenant péniblement son émotion. Les propos de ce dernier traduisent l'ampleur du choc qui était vraiment fort plus qu'on ne peut l'imaginer. Deux années se sont déjà écoulées après la catastrophe qui a ébranlé, un certain19 janvier 2004, le complexe gazier pour ne pas dire toute la ville de Skikda. Ce tragique incident qui a causé la mort de 27 personnes et plus d'une centaine de blessés, est toujours gravé dans la mémoire de ceux qui l'ont vécu. Lors d'une visite que nous avons effectuée sur les lieux, en marge des premières journées internationales sur les risques industriels tenues au niveau de la base, la première impression qui nous est venue à l'esprit, était l'image de l'explosion et des flammes qui déversaient une couche noire dans l'atmosphère. C'est comme si c'était hier. Même le temps passé n'a pas réussi à effacer les images du drame ni de la mémoire des travailleurs ni au moins de la nature. En visitant les lieux du sinistre, nous nous sommes rendus compte de la souffrance qu'éprouvent les travailleurs en fréquentant quotidiennement les unités détruites, à savoir 20, 30 et 40. Certains d'entre-eux, que nous avons rencontrés dans la salle de contrôle des unités de liquéfaction, laissent paraître une certaine frayeur et une fragilité. Les séquelles du sinistre sont bien perceptibles sur leurs visages. «Je n'oublierai jamais ce qui s'est passé, tant que les images du sinistre ne quittent pas mes yeux», atteste Ayachi, l'un des quatre opérateurs qui étaient ce jour- là, à l'intérieur de la salle de contrôle, se trouvant juste à 200 mètres de l'unité 40 complètement détruite. L'explosion était tellement forte, de sorte que la plaie n'est pas encore cicatrisée. Blessé légèrement à la tête, ce rescapé a été hospitalisé pendant deux jours pour reprendre son poste de travail sept jours après. Pour lui, la blessure était moins grave que le choc. «Ce qui m'a le plus choqué, c'est bien la mort de mon collègue», affirme Ayachi, les yeux noyés de larmes. Comme tous ses collègues, Ayachi souffre du confortement du tampon. Un autre miraculé, rencontré au niveau de la salle de surveillance sécurité, raconte; «J'étais à l'extérieur, à quelques mètres de l'explosion, grâce à Dieu j'ai échappé. Mais l'intensité de la déflagration m'a laissé de graves séquelles. Depuis l'incident, ce technicien, natif de Skikda, est devenu plus fragile et le moindre bruit le fait sursauter. «Pour rien au monde, je ne pourrais quitter la salle de contrôle», avoue-t-il, avec une peur envahissant son coeur et son corps. Secoué par l'explosion, il tente, depuis, de soulager sa douleur par le travail en évitant au maximum d'approcher le lieu du sinistre. Notre guide sur le site, le chef de département production, Zaouali Zerghdoud, a lui aussi échappé à la mort. «D'habitude, je me balade toujours à l'extérieur pour contrôler et vérifier le fonctionnement des unités de près. Comme par hasard, ce jour-là, je suis sorti plutôt que prévu pour accompagner un ami à l'hôpital. Ce n'est que de loin que j'ai entendu le bruit de la déflagration. J'avais cru que c'était un crash d'avion», révèle le responsable avec amertume. Il était 18h40, quand l'explosion a eu lieu dans le complexe, faisant voler en éclats les vitres des habitations d'une grande partie de la ville. La population, poursuit-il, est sortie dans la rue, croyant à un tremblement de terre, avant d'apercevoir un nuage opaque sur les hauteurs de la ville. En se déplaçant sur les décombres, ce dernier nous raconte que 30 secondes avant l'incident, un travailleur de l'unité 30 a signalé une fuite au niveau de l'unité 40. «Malheureusement, l'incendie s'est vite propagé sans pour autant avoir le temps de réagir», affirme notre guide qui poursuit que «La source de l'étincelle ayant provoqué l'explosion est toujours inconnue». Le directeur du GL1K, M. Aouadène, a expliqué, lors de son intervention au séminaire, que l'expertise a identifié que l'explosion a eu lieu suite à une rupture d'une canalisation au niveau de la boîte froide. «Une quantité de gaz, soit 4000 kg équivalent méthane, s'est propagée de l'unité 40, ce qui a provoqué l'explosion», précise ce responsable. Le GL1K remplacé par un mégatrain Sur les lieux de la catastrophe, rien n'a bougé. Comme si l'incident s'était produit hier. Les unités endommagées sont toujours sur place, même pas un clou n'a été dévissé depuis. Un chantier de carcasse décoré de morceaux de fer et de fils électriques, témoigne de la gravité du sinistre. Ce décor rappelle toujours aux travailleurs les images affreuses de l'incident. Ces derniers, attendent avec impatience de voir enfin le site du sinistre déblayé. Ils sont pourtant soulagés par la déclaration du P-dg de la Sonatrach. Ce dernier a annoncé, en fait, que les travaux de reconstruction seront bientôt entamés. Le contrat de réalisation de l'unité sera signé au mois de février prochain. Il a fallu attendre deux ans pour que le dossier de l'assurance et des indemnités s'achève pour procéder à l'évacuation des décombres. Certes, le déblayage prendra beaucoup de temps, soit une année au moins, les travailleurs s'accrochent toujours à l'idée de voir une nouvelle unité moderne opérationnelle en 2009. L'opération de démantèlement des unités fera l'objet d'un appel d'offres international qui sera lancé prochainement. Les trois unités incendiées seront remplacées par un mégatrain de dernière technologie, dont la capacité sera de 4,5 milliards de m3. Cette capacité va permettre de récupérer les pertes accusées par l'arrêt des trois unités. En attendant l'arrivée de la nouvelle unité en 2009, beaucoup de choses ont été réalisées au niveau du site pour renforcer et moderniser les normes de sécurité industrielle. Des changements ont été opérés dans le système de gestion des opérations de production et même dans le système de maintenance, de sécurité et de détection des incendies. La salle de contrôle des opérations de commandes s'est dotée de moyens très sophistiqués et des équipements de contrôle de dernière technologie, afin de permettre aux techniciens de superviser de loin les unités. «Dès qu'il y a une fuite de gaz, explique le chef de département, le système la signale immédiatement. De même, le schéma de construction a été complètement revu. Le département de contrôle des opérations a été refait sous des normes strictes de sécurité qu'on appelle «système blaste résistance». Les vitres ont été remplacées par des murs épais en béton. L'unité de lutte contre les incendies, installée auparavant à quelques mètres du complexe, a été totalement mise à l'abri. Le département administratif a été également rasé pour être installé dans un endroit plus sécurisé du complexe. En plus, les unités restantes, ont été également touchées par ce programme de réhabilitation. L'unité 10, qui était proche des trois unités détruites a été complètement renouvelée et remise en production en décembre 2005. Celle-ci a été totalement démantelée et vérifiée avant d'être mise en service. Ainsi, les deux unités en production, p5 et p6, situées loin des lieux du sinistre, ont été également réhabilitées et vérifiées. Sur le plan des ressources humaines, le personnel du deuxième pôle industriel après Arzew, a bénéficié d'un ambitieux programme de formation sur les risques industriels. Les techniciens: entre sacrifice et choc «Je n'ai pas le choix, je dois travailler pour faire vivre ma famille», nous a confié Layachi. La vie est un sacrifice pour lui comme pour la plupart de ses collègues. Reprendre le travail après le tragique incident n'était pas du tout facile pour lui ni pour les autres. «Le début était vraiment difficile pour moi, mais avec l'aide des psychologues j'ai pu surmonter le choc», reconnaît Ayachi. Ce rescapé, comme tous ses collègues, croit au destin. «Ma croyance en Dieu me donne la force de travailler», atteste-t-il. Contrairement à Ayachi, le chef de département de maintenance nous affirme que certains travailleurs qui ont pris un long arrêt de travail n'ont pas pu intégrer le travail par la suite. Malgré le choc et le danger qu'ils encourent, plusieurs d'entre-eux n'ont pas baissé les bras. Bien au contraire, ces derniers ont fait preuve de courage en reprenant au lendemain de l'incident leur poste de travail. L'équipe qui a survécu au danger, est toujours sur place et continue de veiller sur le bon fonctionnement des unités de liquéfaction restantes, qui forment le poumon de la zone industrielle de Skikda. Sachant que le risque zéro n'existe pas, les travailleurs sont, quelque part, rassurés aujourd'hui, par le renforcement des mesures de sécurité au niveau de la base. La Sonatrach s'est pleinement investie dans ce créneau en déboursant 1,2 milliard de dollars durant les deux dernières années. Le groupe a fait appel à des cabinets de renommée internationale pour mener l'expertise et améliorer la sécurité au niveau des installations. Même si les pertes et le choc sont énormes, l'incident a permis, quand même, aux responsables de tirer des leçons sur la sécurité industrielle. Il a fallu une telle explosion pour pousser les responsables à penser à la modernisation des installations industrielles qui datent depuis plus de 20 ans. Il est vrai que dans un secteur comme l'industrie pétrolière, le risque zéro n'existe pas, mais les dégâts auraient pu être moins importants. Le directeur du complexe GL1K, avait bien reconnu que l'incident du 19 janvier 2004, a remis en cause le système de gestion et de sécurité des installations. «Les modes de sécurité ont changé avec le temps. Ce n'est plus le même système des années 70», a-t-il affirmé. Les responsables de la Sonatrach sont aujourd'hui conscients des défis. Ils tentent de tourner la page et tirer les enseignements pour éviter d'éventuels risques au futur. «Les incidents industriels ne sont pas propres à notre pays. La preuve, même le leader de la sécurité industrielle BP, n'a pas échappé à ce genre d'incident», a précisé Mme Faghouli, dans sa communication présentée lors du séminaire. Retraçant les différents incidents survenus à travers le monde, elle dira que «l'industrie mondiale des hydrocarbures a enregistré beaucoup de progrès dans le domaine de la sécurité grâce aux échanges d'expériences». Afin d'éviter d'éventuels incidents, Sonatrach va équiper toutes ses installations d'un système moderne de gestion des crises et des urgences (ICS). La mise en place d'un système pareil va, sans doute, apaiser les craintes des travailleurs et leur rendre confiance pour poursuivre le travail dans de bonnes conditions. D'ailleurs, ceux que nous avons rencontrés ont reconnu que la situation s'est nettement améliorée aujourd'hui. Ils attendent, en effet, avec impatience 2009, pour voir enfin le nouveau mégatrain opérationnel.