L'ancien directeur de la Cinémathèque algérienne regrette que les tentatives d'émergence de notre cinéma soient tributaires d'événements circonstanciels et ponctuels. «Je peux vous dire à l'heure où l'on parle, qu'il n y a aucun film qui se fait, ou risque de se faire. Ni de salle qui s'ouvre ou qui risque de s'ouvrir. On me dit que le Debussy est en rénovation, en attendant, la ministre de la Culture avait annoncé lors d'une rencontre à la Bibliothèque nationale que 200 salles allaient s'ouvrir. 2 ans après, il n'en est rien !», regrette l'invité de L'Expression. «Tant que le cinéma algérien reste tributaire d'évènements exceptionnels que j'appelle moi, des accidents, il ne pourra pas s'en sortir», soutient-il. L'ancien directeur de la Cinémathèque algérienne à laquelle il a donné plus de 30 ans de sa vie, ne prétend pas être provocateur, loin s'en faut. Mais l'homme semble en avoir gros sur le coeur et il veut dire ce qu'il pense vraiment de cette situation qu'il qualifie de «catastrophique». M.Boudjema Karèche évoque les deux évènements-phares de ces dernières années qui ont permis le financement de quelques films. Ces productions, note-t-il, sont le fait d'une double conjoncture, à savoir le Millénaire de la ville d'Alger et l'Année de l'Algérie en France. Un autre événement attendu commence à faire parler de lui. Il s'agit de : Alger, capitale du monde arabe. Et à Boudj d'y trouver matière à confirmer sa thèse: «On reste dans la même stratégie, c'est- à-dire des accidents ! Certainement, il va y avoir des films qui vont se faire, mais une politique réfléchie, avec une démarche logique comme il se passe dans le monde, il n'y en a pas!». M.Karèche affiche un certain pessimisme. Lui qui a vu défiler 24 ministres, il soutient que tous ont abandonné le cinéma. En effet, Boudj a vu nombre de ses projets renvoyés aux calendes grecques, comme son ambition jadis de faire de son espace une cinémathèque africaine et arabe. Pour lui, faire aimer le cinéma est un travail de longue haleine . «J ‘ai pu ouvrir 20 salles à travers le pays. J'allais voir le maire, j'équipais techniquement les salles, les remettais en marche et les alimentais en films.. Pourquoi ne pas demander aux directeurs de la culture d'essayer de convaincre les responsables de leur circonscription d'ouvrir une salle de cinéma dans chaque wilaya. Ce serait magnifique!», confie-t-il, avec autant d'acharnement et d'amour pour ce 7e art. Abordant le sujet des réalisateurs algériens qui se font financer par des boîtes de production étrangères, Boujema Karèche relève qu'il est «d'accord avec Youcef Chahine quand il dit, que pour un cinéaste, l'argent, il faut aller le chercher y compris dans la poche du diable. Dans le monde entier maintenant, la nationalité du film suit celle de l'argent. Moi, je revendique la nationalité du film à son auteur». Boudj propose même une solution à même d'alléger la crise du cinéma en Algérie. «Il y a des sociétés de production des deux côtés de la Méditerranée qui co-produisent des films. Mohamed Chouikh arrive à financer ses films en sollicitant des boîtes étrangères», fait-il remarquer. Et d'ajouter: «Ce serait bien que les Algériens qui ont des sociétés ici produisent les cinéastes émigrés lesquels qui ont des sociétés à l'étranger, participent aux frais de post-production des films réalisés en Algérie. Voila comment notre cinéma pourrait redevenir normal». Cependant, regrette-t-il, «le cinéma en Algérie fait peur car il donne de la liberté aux jeunes, c'est pourquoi il n'est pas soutenu par l'Etat». Evoquant le sort des copies, M. Boudjema Karèche avoue qu'on lui a souvent reproché d'abîmer les copies. «La cinémathèque est comme une bibliothèque, son rôle est de projeter des films. Elle n' a pas vocation d'en faire des pièces d'archives intouchables. La fonction de l'archivage des pellicules n'est pas de son ressort». Mais cela n'empêche pas l'ancien directeur de la cinémathèque d'affirmer: «La Cinémathèque peut se targuer de posséder un fonds très sérieux en filmographie, à savoir 10.000 longs métrages et 5000 courts métrages. Pour les préserver, j'ai eu à les dispatcher dans 5 endroits différents. Une partie est à la rue Mizon à Bab El-Oued, une autre à Didouche Mourad, et le reste est entreposé à la rue Larbi Ben M'hidi, à Béjaïa, et à Blida.» Et de souligner: «J'ai introduit depuis longtemps une demande auprès du ministère pour la réalisation d'un projet consistant en un musée du cinéma, une sorte d'unité de conservation, autrement-dit un blockhaus. Mon projet est resté sans suite.» Ne se départissant pas pour autant d'une vaillante espérance, l'esprit bouillonnant d'idées est à même de contribuer à la relève du cinéma en Algérie, Boujema Karèche lance avec ferveur: «A Ben Aknoun, il y a 50.000 jeunes qui y transitent. Pourquoi ne pas construire dans ce vaste espace un multicomplexe cinématographique, avec plusieurs salles de cinéma, des pizzerias, car le cinéma est avant tout une affaire de jeunes, il suffit de convaincre le privé de se lancer dans ce créneau. Tant que cette activité rapporte, il s'y engouffrera sûrement».