La levée de boucliers des laitiers et des boulangers qui revendiquent une marge bénéficiaire plus conséquente met les pouvoirs publics face à un vrai dilemme. La justice sociale est une caractéristique de l'Etat. Elle est garante d'une république soucieuse de réduire les inégalités. Aucun gouvernement depuis l'accession du pays à l'indépendance n'a dérogé à cette «règle» que l'actuel Exécutif mettra un point d'honneur à perpétuer. Le président de la République a annoncé la couleur à travers le documentaire poignant «Zones d'ombre» projeté lors de l'ouverture de la rencontre gouvernement-walis qui a mis en lumière un autre visage de l'Algérie, celle des laissés-pour-compte. Plus jamais ça. Si un plan d'urgence a été tracé pour sortir ces populations qui vivent dans des conditions déplorables pour améliorer leur quotidien et réduire cette injustice choquante, ce qui ne sera, de toutes les façons, pas une partie de plaisir, il va falloir que le gouvernement joue très serré pour répondre à certains foyers de revendications. La colère gronde, en effet, au sein de certaines corporations qui bénéficient pourtant de subventions de l'Etat, concernant la matière première indispensable à l'exercice de leurs métiers. Les boulangers et les laitiers posent une problématique d'une sensibilité à toute épreuve qui peut mettre en danger une paix sociale qui donne des signes de fragilité perceptibles. Elle ne résisterait probablement pas à une grève du pain, des tensions supplémentaires sur le sachet de lait et surtout à une éventuelle augmentation de leurs coûts. La levée de boucliers de ces professionnels qui revendiquent une marge bénéficiaire plus conséquente, met les pouvoirs publics devant un vrai dilemme. Faut-il davantage recourir aux caisses de l'Etat dont la situation est loin d'être reluisante pour répondre à cette revendication somme toute compréhensible étant donné que cette fameuse marge bénéficiaire dont il est question n'a pas évolué depuis des années ou cautionner une éventuelle augmentation de ces produits de première nécessité et de large consommation, qui réduirait davantage le pouvoir d'achat des ménages aux revenus modestes. Cette dernière option pourrait mettre le feu aux poudres. C'est loin de ressembler à une vue de l'esprit. Les émeutes du sucre et de l'huile qui avaient éclaté au cours du mois de janvier 2011 sont encore dans toutes les mémoires. Il faut souligner, par ailleurs, que sans les transferts sociaux et les subventions qui soutiennent les prix du pain, du sachet de lait, de l'essence, mais aussi des logements sociaux, le salaire moyen des Algériens qui est d'environ 40000 dinars ne suffirait certainement pas à boucler des fins de mois de plus en plus difficiles. Dans une conjoncture financière aussi difficile que traverse le pays dont les caisses ont été laminées par la dégringolade des prix du pétrole, mais aussi des affaires de corruption et de dilapidation des deniers publics sans précédent, il ne sera pas aisé pour le Premier ministre Abdelaziz Djerad et son staff de tenir la cadence. Une des premières mesures qui a été prise par le président de la République pour afficher son attachement à faire de la justice sociale le credo de son quinquennat, a consisté à éxonérer les salaires de moins de 30000 dinars. Une décision à saluer, incontestablement mais qui aura aussi pour conséquence de «priver» le Trésor public d'une rentrée d'argent. Comment y remédier ? Faut-il repenser le modèle algérien qualifié de trop «généreux» ? Peut-on trouver d'autres sources de financement pour préserver le caractère de l'Etat social ? Dans l'état actuel des choses, ces questions s'imposent. Sauf que sans alternative, fiable, on courrait le risque d'une inflation galopante avec des répercussions inévitables sur l'incontournable question de la paix sociale que personne n'a envie de titiller. En plus de s'atteler à réduire les injustices sociales et les déséquilibres régionaux, à travers des subventions qui nécessitent un effort financier colossal, il faut souligner que le gouvernement a aussi pour objectif de mettre en œuvre un nouveau modèle économique qui doit atténuer l'extrême dépendance du pays à ses exportations de pétrole et de gaz : un casse-tête dans une conjoncture financière aussi contraignante.