«Je fus mangé le jour où j'ai laissé le lion manger le taureau blanc», c'est là la fin d'un conte bien de chez nous, qui rappelle que l'union fait la force. Il semble que cette histoire du lion et des trois taureaux ne soit pas inconnue des députés qui ont décidé de serrer leurs rangs pour se protéger mutuellement. En effet, la chambre basse du Parlement rejette depuis quelque temps, toutes les demandes de levée d'immunité. Bahaeddine Tliba est le dernier à avoir perdu son immunité parlementaire lors d'un vote à huis clos où seulement 270 voix ont été pour la levée de son immunité sur un total de 462 députés. Le jour-même, Smaïl Benhamadi a été repêché par ses pairs avec un «non» exprimé par 156 députés et un «oui» de 131 voix. Le reste des voix est à comptabiliser entre abstentionnistes et bulletins nuls. En octobre dernier, les sénateurs aussi avaient refusé de lever l'immunité parlementaire pour les deux sénateurs Ali Talbi et Sid Ahmed Ouraghi. Lundi dernier, c'est un nouveau refus qu'a essuyé le département de Belkacem Zeghmati avec le rejet de levée de l'immunité parlementaire de l'ancien ministre Abdelkader Ouali. Que faut-il comprendre? Le divorce entre le ministère de la Justice et le Parlement est-il définitivement consommé? Les députés ont-ils décidé de se solidariser? Pour quelle raison? De quoi ont-ils peur? Ne font-ils pas assez confiance à la justice et aux lois de la République qu'ils ont eux-mêmes discutées, enrichies et adoptées? Mais l'autre question qui s'impose est celle de savoir où doit s'arrêter l'immunité parlementaire et où commence l'impunité? Logiquement, l'immunité parlementaire est une disposition du statut des parlementaires qui a pour objet de les protéger dans le cadre de leurs fonctions des mesures d'intimidation venant du pouvoir politique ou des pouvoirs privés et de garantir leur indépendance et celle du Parlement. Si elle offre donc une certaine protection aux membres de l'Assemblée populaire nationale et du Sénat, l'immunité parlementaire ne doit en aucun cas offrir une impunité totale. Or, en Algérie, il semble qu'il y a confusion. Pour s'en convaincre, il faut peut-être rappeler le feuilleton de l'ex-sénateur RND de Tipasa, Malik Boudjouher dont l'arrestation et la détention après un flagrant délit de corruption, avaient amené ses collègues à boycotter la séance d'ouverture du Sénat en signe de protestation contre ce qu'ils ont considéré comme une atteinte à l'immunité parlementaire. Ces derniers, faut-il préciser, avaient brandi le respect de la procédure de levée de l'immunité parlementaire pour exiger du président du Sénat de demander la libération du sénateur tout en mettant en sourdine le fait que ce représentant du peuple a été pris en flagrant délit de corruption. Défendre un collègue «pris la main dans le sac», était, il faut oser les mots, une attitude irresponsable. Car soutenir une personne accusée de corruption, c'est approuver l'impunité, ce qui discrédite l'institution parlementaire. La demande de levée d'immunité introduite contre un député ou un sénateur ne signifie nullement que ce dernier est corrompu. Avant que la justice ne se prononce, toute personne bénéficie de la présomption d'innocence certes. Mais ne faudrait-il pas laisser la justice faire son travail lorsqu'il s'agit d'affaires liées au droit commun pour permettre la levée de tout soupçon? Ne faudrait-il pas peut-être penser à revoir le texte régissant l'immunité du parlementaire et la procédure de sa levée? Il s'agit bien évidemment d'arriver à un équilibre législatif à même de garantir l'immunité parlementaire au député de toute poursuite pour des actions accomplies dans l'exercice de son mandat (non détachables de ses fonctions) sans limitation pour autant des prérogatives de la justice pour l'examen des éventuels dépassements. Sur cette question, seuls les experts doivent se prononcer certes, mais il s'agit là juste de la préoccupation d'équité en évitant de placer le parlementaire au-dessus du droit commun, ce qui éviterait au pays de revivre une nouvelle ère d'«impunité des castes».